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CÔTES DE PROVENCE.

Quand au pâle tison de son humide chambre
L’homme indigent préfère un rayon de midi.

À tous ces vétérans qui furent des athlètes,
À ces souffre-douleurs du vent et de la mer,
À ces lutteurs brisés, meurtris par les tempêtes,
Le spectacle des eaux reste encor le plus cher.

Ils aiment à les voir bercer, molles et douces,
L’essaim des goélands, leurs hôtes familiers,
Et sur le môle usé, vert d’algues et de mousses,
Suspendre leur écume en festons réguliers.

De leurs travaux passés tandis qu’ils se souviennent,
Ils suivent du regard sur le limpide azur
Les barques de pêcheurs qui vont ou qui reviennent,
Et les calmes vaisseaux que dore un soleil pur.

Du navire qui passe ils jugent la manœuvre,
S’interrogent entre eux sur le nom de son chef ;
Au pavillon qui flotte, ondoyante couleuvre,
Ils savent à quel peuple appartient chaque nef.

— Celui-là, disent-ils, drapeau semé d’étoiles,
Vient demander nos vins pour les États-Unis.
— Voyez-vous ce chébec, flancs épais, lourdes voiles ?
Il apporte à nos quais les toisons de Tunis.

— Jamais ce Majorcain n’osa de longs voyages ;
Timide caboteur, il navigue au plus près.
— Ce brick a dû passer par de rudes orages :
Où donc a-t-il perdu presque tous ses agrès ?

— Que ce trois-mâts est fier, et comme il fend bien l’onde !
— Il gagnerait du temps sur l’alcyon jaloux.
D’où vient cet ancien-là ? — Des îles de la Sonde.
— Les courses et le temps l’ont usé… comme nous !

Ainsi, les yeux tournés vers les flots, leur domaine,
Causent tous ces voisins aux fronts chargés de jours.
Puis les ressouvenirs, que chaque instant ramène,
Allongent volontiers le fil de leurs discours.

Alors qu’ils jouissaient de leurs forces intactes,
Combien n’ont-ils pas vu de cieux, de bords lointains !