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telles que la société de Cologne, celles si nombreuses de la Belgique, et le grand orphéon de la ville de Paris, qui est loin de les valoir, ne peuvent produire qu’un certain nombre d’effets de sonorité., dont le fréquent retour amène la monotonie : de l’ombre et de la lumière, des forte et des piano, mêlés à quelques combinaisons de rhythme, voilà à peu près quels sont les artifices que l’art peut employer dans un morceau d’ensemble destiné à être exécuté par des voix populaires.

Les Allemands, qui sont doués d’un instinct harmonique plus développé que les autres peuples de l’Europe, abordent, dans leurs chœurs populaires, des modulations ardues qui seraient même difficiles pour les choristes de l’Opéra. C’est toutefois un phénomène consolant que de voir ces sociétés chorales, formées par des ouvriers de bonne volonté qui aspirent à étendre la sphère de leurs jouissances morales, se multiplier et prendre racine jusque dans les moindres petites villes de France. J’ai pu entendre récemment l’orphéon d’un chef-lieu d’arrondissement chanter avec beaucoup d’ensemble et de justesse quelques morceaux faciles, à trois et à quatre parties, qui m’ont fait un vrai plaisir, tandis que la société orphéonique de Blois, qui s’est produite dans un concert public donné dans la grande salle des états du château historique, que tout le monde connaît, n’a pu chanter dix mesures sans détonner d’un demi-ton. À ce concert donné par la ville de Blois, où j’ai pris ma bonne part d’ennui à entendre clapoter sur un orgue dit d’Alexandre, je n’ai remarqué que quelques chansonnettes agréables de M. Nadaud, chantées avec assez de goût par un ides frères Lyonnet.

La conclusion de cette longue missive que j’ai l’honneur de vous adresser du fond d’une villa charmante, c’est que Paris, qui n’a pas été fait en un jour, comme on dit vulgairement, est plus qu’une capitale ordinaire. C’est le centre, le cœur et le cerveau de la nation, qui, en le perdant, perdrait toute son influence sur l’Europe et la civilisation du monde. La France ne pourrait donc pas chanter avec le Misanthrope :

Si le roi m’avait donné
Paris, sa grand’ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris ;
J’aime mieux ma mie,
O gué !
J’aime mieux ma mie !

En faisant ce sacrifice, elle y perdrait le rang élevé qu’elle occupe dans la hiérarchie des peuples civilisés.

Agréez, etc.

P. SCUDO.