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loi suprême et aveugle du succès, de même que la moralité serait absente de tout récit qui prendrait ce succès pour unique mesure de la valeur des choses contemporaines. L’histoire ressemble à une bataille : ceux qui en sont les témoins ou les acteurs ne sont pas les mieux placés d’habitude pour en saisir l’ordonnance et les proportions. La vérité ne se dégage que peu à peu, à mesure qu’on a moins d’intérêt à la cacher ou que les faits parlent d’eux-mêmes, et c’est ainsi que M. Thiers, placé à distance des événemens, peut poursuivre avec fruit, avec un succès croissant, ses courageuses et sincères investigations sur l’empire. M. Thiers n’est point, il s’en faut, un ennemi de l’empire et de l’empereur ; mais il les juge l’un et l’autre. Il est arrivé, dans son dernier volume, à la campagne de 1813, à ce duel formidable entre la puissance impériale déjà branlant sur sa base et la coalition, chaque jour plus serrée et plus forte, de l’Europe. Moscou était le premier pas vers le déclin ; la campagne de France va être la dernière étape. Les cent-jours ne seront qu’une sorte d’épilogue imprévu, un hors-d’œuvre prodigieux et inutile qui n’aura d’autre effet que d’agrandir la défaite de l’empereur en agrandissant les plaies de la France. La campagne de Saxe, ainsi que le montre justement M. Thiers, est pour ainsi dire le nœud de ce drame où l’on voit vingt nationalités se mêler sous des drapeaux différens pour aller se heurter dans un choc de trois jours aussi effrayant que décisif, à Leipzig.

Napoléon, campé à Dresde, ayant retrouvé l’ascendant des armes par les victoires de Lutzen et de Bautzen, prêt à négocier à Prague, pouvait-il et devait-il accepter la paix ? Ne devait-il pas tout faire pour empêcher l’Autriche de passer d’une alliance récente avec lui à une médiation armée, puis à une hostilité déclarée ? Sa situation, son intérêt, l’épuisement de la France, la fatigue de ses alliés, tout lui en donnait le conseil. Les conditions de paix offertes par l’Autriche d’ailleurs n’avaient rien qui ne fût à la hauteur d’une grande ambition, il faut le redire après M. Thiers, qui en est si pénétré, qu’il y revient souvent : ces conditions laissaient encore à la France la Hollande, la Belgique, le Piémont, la Toscane, l’état romain, la Lombardie, deux ou trois royaumes feudataires. Mais l’Autriche était-elle sincère et loyale ? L’historien de l’empire n’hésite pas à le penser, et il se fonde sur l’intérêt de l’Autriche, qui trouvait de larges compensations dans les conditions offertes, sur les dispositions de l’empereur François, qui ne pouvait songer alors à poursuivre la chute de celui à qui il avait donné Marie-Louise, enfin sur la crainte très légitime qu’inspirait encore la puissance de Napoléon. Si l’Autriche, dans cette circonstance comme toujours, cherchait a tirer avantage de sa position exceptionnelle de médiatrice et se faisait habilement sa part sans avoir combattu, il est du moins certain qu’elle n’avait cessé de déclarer que si la paix n’était point faite, le soir même du jour où expirait l’armistice de Pleiswitz, elle serait dans les rangs de la coalition. Sur ce point, M. de Metternich avait été on ne peut plus formel.

Comment se fait-il cependant que l’empereur se raidit contre cette situation ? C’est qu’il mettait son orgueil à croire qu’une paix qui ne le laissait pas maître du monde détruisait son prestige aux yeux des peuples et le livrait à ses adversaires. En eût-il été ainsi, c’était certainement la faute de son système. Ne tenant compte ni de l’orage grossissant, ni des patriotiques avis du sage Caulaincourt, et moins encore des importunes sollicitations pa-