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Le machiavélisme consiste à n’en point avoir; l’utopie, à n’avoir que cela. Le nom de raison d’état ne sera réhabilité que lorsque, cessant de désigner le pur calcul ou la spéculation pure, il sera le nom de l’art suprême d’apercevoir ensemble le vrai, le juste et le possible.

Nous nous trompons fort, ou les hommes d’esprit qui aujourd’hui influent ou veillent sur les destinées de la Sardaigne ne sont pas éloignés des idées qui viennent d’être indiquées. Si l’on veut lire un honorable recueil qui se publie à Turin, la Rivista contemporanea, et dans ce recueil, entre autres bons articles, ceux de M. Le comte Charles Alfieri, on apprendra de plus en plus à estimer cet heureux pays à sa valeur. Il y a là plus qu’un intérêt de curiosité. Il faut absolument nous occuper de l’Italie, car d’un jour à l’autre c’est de là qu’il peut nous venir des affaires, et il n’est pas vrai, comme on a tâché de le croire depuis 1848, que le monde ait cessé de marcher.

Quand on est à Turin, il faut donc forcément penser à la politique et lui rendre visite là où elle habite, c’est-à-dire dans les deux chambres. Leurs délibérations sont en général calmes et instructives. La discussion est franche et régulière. Aucun débat important ne les a occupées pendant mon séjour à Turin, sauf une question d’un intérêt un peu théorique. On discutait au sénat un projet de loi portant abrogation de la fixation légale de l’intérêt de l’argent, et sur ce point, depuis longtemps controversé entre l’économie politique et la science de la législation civile, j’ai eu le bonheur d’entendre l’homme d’état distingué qui dirige en ce moment le cabinet sarde. M. de Cavour parle comme il agit. Son élocution est pleine de force et de clarté. Il a cette qualité tant prisée chez les ministres anglais, celle d’un excellent debater, et, versé dans toutes les parties de l’administration, il joint à ses lumières politiques cette universalité de discussion dont M. Thiers a seul donné l’exemple parmi nous.

La chambre des députés se réunit dans l’édifice lourd et recherché tout ensemble qu’on appelle le palais Carignan. Le sénat s’assemble dans le palais Madame, ou la partie neuve de l’ancien château fort qui s’élève isolé au milieu de la grande place. Les salles des séances m’ont paru convenablement appropriées à leur destination, et surtout assez bien débarrassées de cet appareil théâtral qui nuisait tant chez nous à la bonne discussion des affaires. Le sénat a de plus l’agrément d’occuper pour ses travaux intérieurs les salles de la galerie royale de peinture. Ses bureaux s’assemblent dans des cabinets de tableaux. Cela n’est commode ni pour le public ni pour les étrangers, car il faut bien respecter le secret de ces séances privées. Il serait dommage cependant de ne pas voir la galerie de