C’est à Brescia que j’ai été le plus frappé d’un fait qui ne s’observe nulle part autant qu’en Italie. La richesse d’une ville sous le rapport de l’art n’est nullement en proportion avec son importance et sa prospérité. Une cité médiocre et, je le crains, languissante comme aujourd’hui Brescia resplendit de mille beautés. Ce contraste est rare de notre côté des Alpes, et les temps modernes l’offriront de moins en moins; la richesse économique entraînera avec elle tous les autres trésors. Les capitales finiront par centraliser les œuvres du génie. Je réfléchissais à tout cela, et ma mémoire était toute pleine encore des objets que je venais de voir, je m’efforçais d’en ordonner un peu la confusion, tout en cherchant la porte du musée, Museo patrio, simple porte de jardin qui s’ouvre sur un enclos dont quelques voyageurs ont fort accusé l’état de négligence et d’abandon. Cet abandon m’a paru de très bon goût, et je n’ai pas vu que les fragmens d’antiquités, dont on s’y trouve tout de suite entouré, perdissent rien à rester dispersés au milieu des sureaux, des rosiers et des iris en fleur. A travers des débris précieux, on marche vers les restes du péristyle d’un temple de Vespasien. Quelques tronçons de colonne encore debout, une seule de toute sa hauteur, des chapiteaux épars, donnent une assez noble idée de ce monument, dont on a restauré l’intérieur pour en faire le musée. La disposition a quelque analogie avec la Maison carrée de Mîmes; seulement tout est plus ruiné et plus marqué d’un caractère de grandeur. Dans les trois salles, à peu près réparées, sont déposées des antiquités de diverses sortes, et qui méritent un attentif examen; mais il est difficile de s’en occuper bien vivement dès qu’on est entré dans la salle de gauche, et que les yeux se sont levés sur une statue de bronze qui attire les premiers regards.
Une femme ailée, nue en partie, en partie drapée dans la disposition de la Vénus de Milo, le pied exhaussé sur un casque, appuyant sur son genou un bouclier d’une main, paraît de l’autre y graver des choses dignes de mémoire. Le bouclier a été ajouté, et c’est, dit-on, la Victoire qui écrit les louanges du père de Titus. L’ensemble se prête à l’explication, et j’avoue qu’elle m’importe peu. La vue de cette statue ne donne aucune envie de rien contester de ce qu’on voit. La Victoire bresciane, quoiqu’elle rappelle par son attitude la Vénus de Milo, n’en a pas l’incomparable grandeur; elle appartient plutôt à ce genre de beauté qu’on pourrait appeler la beauté élégante : ce n’en est pas moins une beauté qui ravit l’âme aux plus pures émotions que l’art puisse donner. Je rendrais difficilement l’effet soudain qu’on éprouve, lorsque, les yeux encore tout remplis des beautés de la peinture italienne, on se trouve en face de ce chef-d’œuvre de la statuaire antique. On se sent, à la lettre,