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V.

La route de Brescia à Vérone, admirable par ses points de vue, rappelle à chaque pas deux choses bien différentes, les Géorgiques et la guerre. Virgile, dans ses descriptions, s’inspirait des souvenirs de ces riantes campagnes, séjour de ses jeunes années, et nous sommes dans la région d’Arcole et de Rivoli. Le poète, qui vécut à Rome et qui mourut à Naples, était du nord de l’Italie. C’est là qu’il avait connu la vie des champs; c’était là et non dans le palais de Mécène que s’était formé son génie. Le sentiment des charmes de la nature respire dans ses tendres écrits. L’agriculture qu’il décrit et qu’il enseigne est encore celle dont on a ici sous les yeux les instrumens et les produits. Ce n’est que dans ces contrées qu’on a pu mettre sur la même ligne : Terram vertere... ulmisque adjungere vites. Ce vers revient en mémoire à chacun des champs que l’on aperçoit, à chaque paire de bœufs que l’on voit tirant l’antique araire des vieux Romains. L’Éridan et le Mincio sont les fleuves que Virgile a chantés, et le Benac, dont il dit que les flots ont les tempêtes de la mer, est ce lac de Garde qui se découvre aux yeux comme une plaine argentée, lorsqu’on approche du viaduc de Desenzano. Un ciel éclatant se réfléchissait dans ce miroir éblouissant, et les gradins de l’amphithéâtre des Alpes du Tyrol se dessinaient au loin avec toute sorte de variété dans les accidens de forme et de couleur, de végétation et de culture. Le chemin de fer est pendant près d’une heure bordé d’un magnifique spectacle.

Mais ce Mincio aux tendres roseaux, qui sort du Benacus, comme le Tessin du Lac-Majeur et l’Adda du lac de Côme, forme presque aussitôt une île sur laquelle s’élève la forte place de Peschiera. Lodi, Lonato, Desenzano, Castiglione, Pastrengo, ces noms des lieux qu’on vient de parcourir ou d’apercevoir, Vérone et Mantoue dont on approche, tout rappelle qu’on marche sur un sol ravagé et illustré par la guerre, qu’on revoit le théâtre où les armes ont décidé, où les armes décideront peut-être encore des questions qui contiennent les destins de l’Europe. Les pics des premières chaînes de montagnes portent les ruines pittoresques des châteaux du moyen âge, et plus bas, de savans ouvrages commencent ce système de fortifications qui protègent la ligne de l’Adige. Tous les travaux des Autrichiens depuis 1848 tendent à faire de cette ligne célèbre une base principale d’opérations, un camp retranché inexpugnable, et Vérone, érigée en capitale militaire de la Lombardo-Vénétie, semble destinée à supplanter Milan; mais ce système de défense lui-même pourrait un jour aboutir à faire de l’Adige une frontière.