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pandu pour conquérir cette frontière du Rhin, aujourd’hui perdue; je pense à l’admirable position de Mayence pour couvrir la France entre Strasbourg et Cologne, et contenir ou inquiéter l’ennemi.

Je m’en vais par eau à Francfort-sur-le-Mein. Là, je me sens réellement en Allemagne. La langue, les usages, aussi bien que l’aspect des lieux, tout m’est nouveau, tout me frappe. Francfort est une ville très propre et très agréable, excepté le quartier des Juifs et celui du Mein. Les auberges y sont de véritables palais. La Zeilstrasse, qui partage la ville, est une des plus belles rues qu’on puisse voir. Les anciennes fortifications abattues ont fait place à des boulevards qui forment une promenade charmante où l’on a des points de vue ravissans. C’est là que je passais ma vie pendant mon séjour à Francfort, quand je n’étais pas à la légation française ou dans le cabinet de quelque philosophe.

J’avais une lettre pour le ministre de France auprès de la diète germanique, M. Le comte Reinhart, Allemand d’origine, depuis longtemps au service de France, et qui, après avoir traversé une longue carrière diplomatique, avait trouvé à Francfort un poste qui convenait à sa capacité et à ses goûts. Il connaît profondément l’Allemagne. Il a été lié avec les hommes les plus distingués de son temps, et il est encore un des correspondans de Goethe. Son instruction est surtout historique et littéraire, mais il s’intéresse aussi à la philosophie. S’il appartenait à une école, ce serait plutôt à celle de Kant. Il connaît personnellement et il révère M. Jacobi; mais toute la nouvelle philosophie allemande, celle qui commence à M. Schelling, lui est peu familière et fort suspecte. M. Reinhart est un ami sincère de la liberté et de la révolution française. Il en chérit toujours les principes et il aime ceux qui les aiment comme lui. Par ces divers motifs, M. Reinhart me prit en affection, et il se forma entre nous une liaison et, je puis le dire, une amitié qui a résisté à plus d’une épreuve[1].

Les hommes distingués que je connus à Francfort par l’entremise de M. Reinhart sont MM. Fr. Schlosser, Manuel, Passavant, et le célèbre Frédéric Schlegel.

M, Frédéric Schlosser était alors bibliothécaire de la ville de Francfort et professeur d’histoire au gymnase; il a écrit une savante histoire des iconoclastes. M. Schlosser n’est pas un historien du premier ordre[2] et un esprit très original, d’ailleurs la philo-

  1. M. Reinhart est mort en 1837, membre de l’Institut et pair de France. M. de Talleyrand a prononcé son éloge le 3 mars 1837. Voyez les Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques, t. II.
  2. M. Schlosser est connu en France par une estimable Histoire du dix-huitième siècle, traduite par M. de Golbery.