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d’autre philosophie que le christianisme, c’est une raison de plus de le bien connaître. La doctrine de saint Augustin sur la grâce est déjà très forte : elle n’a pas besoin d’être encore exagérée; elle demande bien plutôt à être tempérée et expliquée comme elle l’a été par l’église. Là-dessus je me permettais de dire bien doucement à M. Manuel que le chapitre de mon petit catéchisme[1] intitulé de la Satisfaction, bien entendu, est tout autrement profond que la théorie méthodiste, et je m’efforçais d’inspirer au jeune pasteur le goût de l’histoire ecclésiastique et des spéculations philosophiques. M. Manuel me répondait toujours : « Je n’ai pas la prétention d’être un savant ni un philosophe; je ne suis, je ne veux être que chrétien, et chrétien selon mon église. » Le dimanche, j’allai l’entendre prêcher sur le sujet habituel de nos entretiens : il me plut par la noblesse et la douceur de son langage. M. Manuel, dont la doctrine est si intolérante, était dans la pratique, par une contradiction rare et généreuse, la tolérance même. Nous passions ensemble presque toutes nos soirées, et nous allions à la campagne promener nos communes rêveries dans un abandon vraiment fraternel. Il aimait profondément sa patrie, il la regrettait; il soupirait après ses Alpes et après son beau lac; le Rhin et les montagnes que nous apercevions les lui rappelaient tristement. Depuis, j’ai appris qu’il était retourné dans son pays, et que cet homme vraiment évangélique avait enseveli ses talens dans l’obscure et sainte fonction de directeur de la maison pénitentiaire de Lausanne. Ainsi les hommes ne connaîtront pas M. Manuel; mais qu’est-il besoin d’être connu des hommes? Ce bruit qu’on fait parmi eux, dangereux pour la vertu, que fait-il pour le bonheur? Je n’ai pas la force d’envier la destinée de M. Manuel, mais je n’ai pas non plus la faiblesse de le plaindre.

M. Passavant, docteur en médecine, était chrétien aussi, comme M. Manuel; mais il l’était bien différemment, et à la manière de M. Franz Baader, dont il était un fervent disciple. M. Passavant a fait tous ses efforts pour m’expliquer la doctrine de son maître, sans y réussir. Cette doctrine n’a point une méthode fixe, des principes arrêtés, un développement régulier; c’est une suite d’aperçus ingénieux et subtils qui répandent sur toutes choses une lumière équivoque. Il semble que M. Baader ne veuille pas dire son dernier mot, et que, moitié naturellement, moitié à dessein, il embrouille la religion par la philosophie et la philosophie par la religion. Jusqu’ici du moins, le christianisme de M. Baader n’est pas à mes yeux un christianisme de bon aloi. M. Baader a été d’abord un disciple de la

  1. J’entends le catéchisme de Bossuet, qui, dans ma jeunesse, était le catéchisme universel, à l’usage de toutes les écoles de l’empire français.