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Kant, comme vous l’entrevoyez déjà, Fichte est inévitable; mais avec Fichte il faut bien savoir que Schelling est inévitable aussi : la raison ne peut conduire qu’au panthéisme.

« On pouvait croire d’abord que Jacobi ne tomberait point dans le panthéisme, lui qui voulait substituer l’empire du sentiment à celui de la raison ; mais quand il a expliqué nettement ce qu’il entendait par le sentiment du divin, il s’est trouvé que ce sentiment des choses divines appartient à la raison, et que l’adversaire de Kant en est le disciple. Voilà donc Jacobi lui-même rationaliste, et, s’il était conséquent, il devrait être panthéiste, c’est-à-dire athée.

« La vérité est qu’il y a un sens particulier des choses divines, un organe intérieur, une révélation immédiate des faits religieux. L’empirisme est le seul système raisonnable; mais ce n’est pas l’empirisme de Locke et de Condillac : il y a un empirisme supérieur, il y a des visions de conscience extraordinaires qui donnent cette foi légitime et infaillible que ne peut donner la raison.

« C’est ce sens qu’il faut dégager, ce sont ces visions qu’il faut éclaircir.

« Bacon a très bien vu cela, et jusqu’ici personne n’a compris Bacon. Bacon indique souvent deux genres de recherches entièrement distinctes, les faits ordinaires, pour lesquels il a tracé de si belles méthodes, et les faits religieux, qu’il n’a point développés, mais qu’il reconnaît comme une partie riche et neuve de la science humaine. »

En entendant parler ainsi M. Frédéric Schlegel à Francfort, je me souvins que l’hiver précédent à Paris, dans la rue Royale, son frère Auguste-Guillaume m’avait tenu exactement le même langage. Il m’avait dit : « Nul argument ne prouve Dieu. Kant a rendu un service immense en délivrant pour jamais la philosophie de toutes ces vaines argumentations pour ou contre l’existence de Dieu; mais la raison pratique ne donne pas plus Dieu que la raison spéculative, parce que c’est encore là de la raison. La foi seule peut mener à Dieu. Hemsterhuis et Jacobi l’ont bien vu; mais la foi de Jacobi est équivoque, et l’on ne sait trop ce qu’il veut dire. L’âme humaine est une sphère dont un côté est tourné vers le monde extérieur, et l’autre côté nous révèle Dieu et l’autre vie. Il ne faut pas confondre Bacon avec ses disciples. Il leur est très supérieur, et il en est très différent. Une étude profonde de Bacon donnerait des résultats nouveaux et inattendus. »

Nous voilà donc, selon MM. Schlegel, ramenés à Bacon et à un empirisme d’un nouveau genre. Sans doute. Bacon ne repousse pas absolument l’étude de certains faits, ordinairement attribués à la superstition et à l’extravagance, et on peut trouver à cet égard dans