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absorber et à faire disparaître la religion dans la philosophie. Des deux côtés, égale erreur, égal excès, égal danger. La religion et la philosophie sont deux ordres de pensées essentiellement distincts, qui diffèrent depuis le commencement du monde, et qui différeront jusqu’à la fin des temps. Elles ont sans doute plus d’un point de contact, mais c’est leur différence qui les caractérise. Dans la tête d’un Arnauld et d’un Bossuet[1], il y avait place à la fois pour l’une et pour l’autre; elles y habitaient dans le plus parfait accord, se touchant sans se confondre, se distinguant sans se combattre, et ce n’est pas leur faute si la tête de M. Paulus n’est pas assez large pour les contenir ensemble. On a bien vu de fanatiques étourdis, tels que Diderot et le baron d’Holbach, prétendre qu’il ne faut plus du tout de religions sur la terre, et que désormais le genre humain ne doit être composé que de philosophes semblables à eux : cela certes est une prétention fort extraordinaire, mais on la conçoit à la rigueur; mais vouloir, avec la plupart des rationalistes allemands, conserver le christianisme, en être les prêtres, les ministres, en vivre eux et leurs familles, lui devoir leur rang dans la société et dans l’état, et en même temps le dépouiller de tout surnaturel, de tout mystère, c’est-à-dire le détruire comme religion, c’est une contradiction radicale, l’entreprise la moins conséquente et la moins philosophique qui fut jamais.

Je m’en tiendrai donc, provisoirement au moins, à cette pensée simple et claire que m’ont enseignée mes maîtres de France, que j’ai moi-même enseignée à mes jeunes auditeurs, et où mon esprit et mon cœur se reposent avec une égale sécurité : la philosophie est une chose, et la religion en est une autre; il les faut laisser chacune dans leur ordre, avec leurs instrumens particuliers et sous l’autorité qui leur est propre. Attaquer le christianisme a été l’œuvre du dernier siècle : ne recommençons pas cette œuvre, car elle est mauvaise. Loin de là, souhaitons que la religion chrétienne, dans les diverses communions qui la partagent, se dégageant de plus en plus des petitesses et des superstitions trop souvent attachées à toute religion, s’affermisse et se répande de jour en jour davantage, car elle maintient et répand avec elle de saintes croyances, favorables à la vraie philosophie, à la vertu, au patriotisme, à tout ce qui fait la grandeur de l’homme sur la terre. Or soyons conséquens : si nous ne voulons pas détruire le christianisme dans l’esprit des peuples, respectons les saintes Écritures sur lesquelles il repose, et sans bannir la critique, dans son intérêt même retenons-la en certaines limites. Surtout, autant qu’il est en notre pouvoir, empêchons la philoso-

  1. Voyez nos Études sur Pascal, 5e édition, Philosophie de Pascal et de Port-Royal.