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il n’est réellement et déterminément que dans le monde et dans l’homme; sa personnalité est la personnalité humaine, il ne connaît qu’en nous et par nous. A Dieu ne plaise que j’impute un tel système à M. Schelling sur la foi de ses ennemis! Cependant il m’est impossible de ne pas me rappeler quel peu de sympathie me témoigna M. Hegel, lorsque je lui dis que mon dessein était de combattre la philosophie du XVIIIe siècle. Nous ne commençâmes à nous entendre et à nous plaire qu’en parlant de la révolution française et de la monarchie constitutionnelle. Lorsque je le quittai, il me donna, pour me tenir lieu de lui-même pendant mon voyage, son Encyclopédie des Sciences philosophiques[1]. Cet ouvrage, depuis si célèbre, paraissait en ce moment, et je reçus de la main de l’auteur un des premiers exemplaires. Je me suis jeté dessus, mais il m’a parfaitement résisté, et je n’en ai pas saisi grand’chose. A mon retour à Heidelberg, j’ai en vain demandé à M. Hegel lui-même les explications dont j’avais besoin; il a toujours éludé mes questions, ne s’apercevant pas qu’il y répondait suffisamment en évitant d’y répondre. Je comprends très bien le sens et la portée de l’ordre et de la division que M. Hegel établit dans l’être : 1° l’être pur, 2° l’être déterminé, 3° l’être pour soi (das reine Seyn, das Daseyn, das für sich Seyn). L’être pour soi ne vient qu’au troisième rang, et l’être pur ou l’être en soi, qui occupe le premier degré de l’être, et d’où vient tout le reste, est dépourvu de fur sich Seyn, c’est-à-dire de conscience et de personnalité. L’être pur de M. Hegel me paraît donc ressembler fort à l’être infini et absolu de Spinoza.

Pour M. Schleiermacher, il est évidemment bien plus spinoziste que platonicien. Il a beau vouloir mêler Spinoza et Platon; ils s’excluent. J’en demande bien pardon au savant traducteur de Platon : le dieu de Platon et celui de Spinoza sont essentiellement différens. J’admets bien que dans Platon les mythes jouent un assez grand rôle; seulement les mythes couronnent la philosophie platonicienne, ils ne la constituent pas, ils la mettent en rapport avec les croyances populaires qu’ils élèvent et ennoblissent; mais sous ces mythes est une philosophie aussi nette que sublime, et qui n’a rien à voir avec celle du célèbre juif hollandais. Platon, dans le dixième livre des Lois, pose admirablement la question : Quel est l’être premier? et il se répond avec une clarté parfaite : L’être premier, c’est l’intelligence, et la nature ne vient qu’après[2]. Et dans le même endroit et partout ailleurs il établit fermement que l’intelligence est à la fois principe premier du mouvement et principe premier de la pen-

  1. Encyclopœdie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse, zum Gebrauch seiner Vorlesungen, von Dr G. W. Hegel, Heidelberg, 1817.
  2. Voyez t. VIII de notre traduction, p. 229, etc.