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d’où il arrive avec son brick et ses guinées qu’il sème de tous côtés sans y prendre garde. En peu de mois, il est lancé. Il n’a point de préjugés, et voit la mauvaise compagnie tout aussi volontiers que la bonne. Dans la bonne et dans la mauvaise, il rencontre Diego, et les voilà liés. Dans la mauvaise, parmi les journalistes (oh! M. Whitty!), parmi les viveurs, parmi les chevaliers d’industrie, il rencontre Thérèse Desprez, et en devient fort amoureux.

Car Thérèse est revenue, toujours vagabonde, au sortir d’un couvent où elle s’était d’abord jetée. Qu’aurait fait Thérèse en un couvent? Une sainte Thérèse, direz-vous. Ah! permettez-nous de n’en rien croire. Elle est donc revenue, mais pas en ligne droite. Il semble qu’elle ait vu bien du pays depuis le jour de son divorce amiable; mais elle n’en est que plus séduisante. Et les grands yeux noirs de cette petite femme plus blanche que l’albâtre font de tous côtés des martyrs. Wortley en est épris sans trop le savoir; M. Kees aussi, mais il le sait.

Et quel est ce M. Kees? Autre marionnette. C’est tout uniment le confident et, tranchons le mot, le valet de Diego Dwyorts. Un homme tout précaution et tout mystère, l’œil toujours au guet, ne marchant que sur la pointe du pied, et encore le plus souvent avec des semelles de feutre sourdes et muettes. C’est ainsi qu’il se glisse dans ce drame, où il nous semble être arrivé en droite ligne de quelque roman de Dickens. Ce M. Kees fait rêver. Longtemps il combat la passion insensée qu’il a conçue, tout en l’espionnant, pour la première, la vraie femme de son maître; mais enfin, comme Tartufe devant Elmire, un moment vient où il oublie toute prudence. Où sont vos pistolets, belle Thérèse? Cassez-moi la tête à ce maraud! Eh! non. Le maraud est si amoureux. On ne tue pas ces gens-là. On ne les tue pas, et parfois à la longue, s’ils ont patience, s’ils s’entêtent, s’ils prennent avantage des circonstances, parfois, oui, parfois... on les épouse. Qu’avons-nous dit là, bon Dieu !... Voilà Thérèse perdue pour nos belles lectrices. Que voulez-vous? Une marionnette à la mer !

Aussi bien n’avons-nous que faire de ménager l’intérêt dans l’analyse d’un récit qui n’intéresse point. On sent bien que si Thérèse épouse Kees, c’est que Diego est mort, et Wortley aussi. Rendons-lui cette justice, elle eût préféré Wortley, ce jeune et généreux sauvage, à ce vil laquais, tout brûlé qu’il soit de mille feux. Mais comment a péri Wortley, comment est mort Diego? car enfin, pour les vrais lecteurs de roman, toute la question n’est-elle pas là? Et envers eux nous sommes coupables d’une anticipation désastreuse.

Réparons cette faute en quelques mots. John Dwyorts, le grand spéculateur, a trop spéculé. Les millions ont fondu comme la neige