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leur devoir de défenseurs de la légitimité : « on leur avait tant dit que l’âge d’or de la liberté allait venir, » qu’ils refoulèrent au fond de leur cœur les affections et les espérances de toute leur vie, et que l’esprit de désintéressement et de conciliation les entraîna au-delà de toutes les bornes. Après l’élection du 10 décembre 1848, ils faillirent de nouveau; ils refusèrent jusqu’au bout de comprendre la signification monarchique de cette manifestation nationale. La France ne voulait pas de république, et « les hésitations de Louis Bonaparte leur faisaient la partie belle. » A qui la faute si, après trois années d’agitation révolutionnaire, la société n’eut à opter qu’entre l’anarchie et le rétablissement de l’empire? — Il faut avouer que l’écrivain parle franchement à son parti; mais en vérité il le traite trop mal. Il n’est point exact de dire que les légitimistes qui acceptèrent au premier moment la république, fussent si simples que de croire à l’âge d’or ; ils crurent qu’il était temps pour eux de se rallier à l’esprit démocratique de l’époque, ou tout au moins ils crurent qu’après tout la république valait mieux que l’anarchie. Ils ne pensaient point qu’alors la légitimité pût être rétablie à si peu de frais, ni qu’une voix « sortie de la constituante » en faveur de M. Le comte de Chambord eût tout entraîné, ni que Louis Bonaparte, après le 10 décembre, leur fît la partie belle. Pour croire tout cela, il aurait fallu cette foi qui transporte les montagnes, et ils aimèrent mieux écouter le bon sens qui laisse les montagnes où elles sont.

Où donc en veut-il venir? Le voici. Puisque les légitimistes ont si mal profité des belles occasions qui leur étaient offertes, il faut qu’au moins maintenant, pour en finir d’une autre manière avec les révolutions, ils se rallient à l’empire, dans le cas prévu où M. Le comte de Chambord mourrait sans postérité. L’exposition de cette doctrine est loin d’être claire. Dans une matière si délicate, il y avait tant de précautions à prendre de tous les côtés ! Il nous a fallu, pour atteindre la pensée de l’auteur, fendre, non sans peine, un flux de considérations peu neuves. Amusons-nous cependant à la suivre dans ses sinuosités.

Le mot de légitimité, selon M. Muller, a plus d’un sens. Dans la langue politique, on lui a donné un sens restreint qui s’applique surtout à l’institution de l’autorité ; mais il a un sens plus large : c’est la qualité de ce qui est conforme à la loi suprême, règle souveraine de l’ordre, source de tout droit. — Le travail, la famille, la propriété, constituent le vrai fondement de la société, fondement divin, auquel doit se rapporter tout l’édifice. La légitimité de toutes les autres institutions dérive de la conformité de leur but avec le but de cette institution première. Nous avons donc ici, si nous l’entendons bien, « la légitimité du but, » comme d’autres ont dit « la souveraineté du but. » Cette sorte de légitimité s’applique à toutes les formes de la société, car celle-ci ne naît pas partout avec le même tempérament ; elle naît sous des formes diverses, par l’influence de causes supérieures à nos volontés, causes qui tiennent au climat, au territoire, à une foule d’autres circonstances, mais causes divines, c’est-à-dire appartenant à la logique de la création. La Suisse, les États-Unis, ont leur tempérament républicain; mais quand une nation a été gouvernée héréditairement depuis des siècles, elle a révélé un tempérament qui ne s’accommode que de la monarchie héréditaire. En ce sens, la légitimité est de droit divin; l’idée d’un pouvoir