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naval de Venise, qui, il y a plus de quarante ans, m’a fait connaître, de façon à ne les jamais oublier, les deux colonnes de granit qui s’élèvent entre le palais ducal et la Libreria Vecchia ; le lion ailé de l’une, le saint Théodore de l’autre, avec son crocodile, me sont devenus aussi familiers que la colonne de la place Vendôme. Cette habitude, prise de bonne heure, affaiblit un peu l’effet de la présence réelle de Venise. C’est quelque chose qu’on n’a jamais vu et que l’on connaît, quelque chose de surprenant qui ne produit plus de surprise. Aussi ai-je trouvé plus de plaisir encore dans l’examen des détails que dans la vue de l’ensemble. Il ne faut faire exception que pour l’incomparable panorama qui se déploie aux regards quand, par un temps clair, vous montez aux cloches du campanile. De là le vaste ciel et la vaste mer, les toits de la ville à flot et les vingt-deux îles qui l’environnent, les états de terre ferme et les montagnes du Frioul, tout se dessine et tout brille au loin dans une lumière vive et douce.

Venise a moins de couleur locale qu’on ne voudrait. Les personnes surtout ont perdu ce qu’il en reste aux choses. Les gondoles sont demeurées telles qu’au XVe siècle, mais les gondoliers doivent avoir changé. Ils sont de la dernière platitude. En chapeau ou en casquette, en chemise, en blouse ou en veste, ils ressemblent aux hommes de peine de tous pays, et les marins de Gênes ou de Marseille ont certainement plus de caractère. Hormis chez quelques porteuses d’eau du Tyrol, en petit chapeau d’homme, et chez quelques paysannes de Chioggia, leur mantelet blanc sur la tête, on ne voit pas trace de costume national, et grâce à l’Algérie, on rencontre plus de Levantins sous les galeries de la rue de Rivoli que sous celles des Procuraties. Heureusement les Vénitiennes ont conservé la bonne habitude de montrer leurs cheveux, et cette coiffure naturelle et soignée, qu’elles portent en plein air, leur donne une véritable distinction. Je n’ai pas besoin de dire que les cheveux noirs, le teint brun, les traits accentués du type méridional sont plus rares à Venise que la fraîcheur, l’embonpoint, la beauté douce et reposée, la chevelure riche et blonde des femmes de l’école du Véronèse et de Titien. Avec un peu de costume, la population de Venise en deviendrait un des plus beaux ornemens. Je le remarque parce que les belles campagnes lombardes ne paraissent pas la patrie d’une race d’élite, dont la nature physique ou le costume traditionnel offre d’heureux modèles aux arts du dessin. Les villages, sous ce rapport, sont assez tristes à traverser, et font comprendre pourquoi Léopold Robert a pris ses sujets dans le midi de l’Italie.

J’ai entendu la grand’messe à Saint-Marc. On me dirait que je l’ai entendue dans une mosquée, je ne me récrierais pas. C’est un assem-