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de trente ans environ. Sa taille était moyenne, son visage basané, ses traits osseux et durs, son front perpendiculaire comme un mur, son nez anguleux et effilé comme une lame de rasoir, ses yeux enfoncés et sombres, sa démarche raide et automatique. Ses tempes serrées, ses veines contractées, ses pommettes saillantes, donnaient à ce jeune gentleman un aspect dur et presque repoussant.

La maison de Samuel Butterfly était nouvellement construite, comme toutes celles de Scioto-Town, car la ville n’existait que depuis six ans. Elle était faite de ce marbre gris-brun qui est si commun à New-York et à Philadelphie. L’entrée était magnifique. L’architecte avait pris pour modèle le portique du Parthénon. Les Américains n’ont pas d’architecture qui leur soit propre; leurs maisons et leurs monumens sont copiés sur ceux des autres nations. C’est une grande économie de temps et d’imagination. Quant à l’argent, c’est la chose dont ils sont le plus avides et le plus prodigues. L’Américain semble avoir pris la devise de César : Tout avoir pour tout dépenser.

Samuel Butterfly reçut son fils dans le parloir, qui était tapissé avec un luxe inconnu en France. Notre belle patrie se sert du tapis comme du thé, — les jours de gala : ce sont deux objets de luxe qu’on ne permet qu’aux malades ou aux grands seigneurs. Le vieil Américain n’était ni l’un ni l’autre, mais il aimait le comfortable. Quand George-Washington entra, son père lui dit : — Quoi de nouveau, George?

— Le cochon salé est à trois cents la livre.

— Bien, Il vaut six cents à New-York. Achetez-en cent mille livres, et expédiez-les sur-le-champ à la maison Wright et C°.

— Le sucre d’érable vaut dix cents la livre.

— Attendez qu’il baisse, et vous achèterez. Est-ce tout?

— C’est tout.

— Bien. George-Washington, j’ai une nouvelle à vous annoncer.

— Ma sœur est mariée ?

— Plût à Dieu! Mais la sotte restera fille, je crois. Le propriétaire de Scioto-Town arrive aujourd’hui même.

— Le propriétaire !

— Oui, ce Français qui avait acheté la forêt sur laquelle vous et moi nous avons bâti notre maison et la plus grande partie de notre fortune.

— Eh bien ! il faut le jeter à l’eau.

— J’y pensais; mais vous ne voulez pas sans doute vous charger de cette besogne?

— Pourquoi non, mon père? Je me chargerai toujours avec plaisir de toute besogne qui peut contribuer à la sécurité de la maison Samuel Butterfly et fils.