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réparer les pertes produites par la fusion, et que la masse entière s’achemine lentement vers la partie inférieure de la vallée qui l’enserre. Ce phénomène singulier tient à des causes complexes : M. Agassiz avait cru en trouver la raison dans la dilatation que subit l’eau en se congelant dans les interstices des glaciers ; mais il donna à cette explication une forme erronée. Suivant lui, l’expansion qui met les diverses parties d’un glacier en mouvement s’opère par suite des alternatives de réchauffement et de refroidissement qu’amènent chaque jour et chaque nuit ; il n’a point tenu assez de compte des alternances, beaucoup plus marquées, qui sont dues aux diverses saisons. Il n’est pas difficile de montrer que la congélation de l’eau pendant la nuit ne peut avoir aucune influence sensible sur la marche des glaciers, car les changemens de température dus à la succession du jour et de la nuit n’ont d’effet que jusqu’à une très faible profondeur, et la température de la masse entière est indépendante de cette variation, puisque l’eau ne gèle la nuit que jusqu’à deux mètres environ dans l’intérieur du glacier.

Il est admis généralement aujourd’hui que la théorie de la dilatation, telle que l’a présentée M. Agassiz, ne peut pas servir à expliquer le mouvement des glaciers. Au reste, même en admettant que l’eau qui entre pendant le jour dans les innombrables interstices d’un glacier fût congelée chaque nuit, la dilatation qui en résulte devrait, comme l’a fait justement observer un géologue anglais, M. Hopkins, s’exercer dans le sens où la résistance est la moindre. Si un mouvement sensible pouvait résulter de cette expansion, il s’exercerait avec le plus de facilité dans le sens vertical, car, pour s’allonger dans le sens de la vallée, le glacier est obligé de vaincre l’énorme pression que lui opposent les parois où il est enfermé. L’effet de la dilatation, telle que l’admet M. Agassiz, serait donc plutôt un bombement graduel de la surface du glacier : or rien n’indique qu’il s’opère un pareil exhaussement.

On s’accorde aujourd’hui à croire que les glaciers descendent en vertu de leur masse même, et l’on ne diffère plus que dans la manière de présenter cette théorie de la gravitation. L’explication de M. Agassiz a été abandonnée, mais ses belles expériences ont fourni les élémens avec lesquels on en a imaginé une nouvelle, et ont aidé du moins à résoudre ce difficile problème. Le théâtre qu’il choisit pour ses observations est le beau glacier de l’Aar, qui lui offrait quelques avantages importans : les moraines y sont très bien développées, et la rencontre des deux glaciers qui viennent en se rejoignant former le glacier principal permet d’y étudier les moraines médianes. D’ailleurs le glacier de l’Aar n’a qu’une faible inclinaison ; il est d’un accès bien plus facile que certains glaciers