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assurément le grand problème de l’art, du moins c’est à le résoudre que se sont appliqués de tout temps les maîtres qui ont laissé une renommée durable. Si vous me montrez tout à la fois, je ne verrai pas grand’chose. Si vous avez l’art de diriger mon attention, vous dirigerez aussi probablement mes impressions. Appelez cet art une ruse, une tricherie, qu’importe? Elle est fort légitime, et d’ailleurs le résultat que l’artiste obtient par un calcul habile, c’est ce qui arrive continuellement dans la réalité. Lorsque l’attention est fortement excitée, elle se concentre sur un seul objet. Un homme a rencontré sa maîtresse au bal; il a vu le plus imperceptible sourire de ses lèvres, le plus rapide clignement de ses paupières, et il ne pourra pas dire peut-être quelle était la couleur de sa robe. Toute son attention s’est portée sur sa figure. Au contraire, un indifférent aura remarqué tous les détails de sa toilette, et n’aura saisi aucun des regards échangés avec son amant. Pourquoi le grand artiste n’aurait-il pas le droit de commander l’attention du spectateur et de lui signaler les traits principaux de sa composition?

Cet art de diriger l’attention s’apprend ou se devine comme tant d’autres, et les moyens sont aussi variés que puissans. Les lignes de rappel, la distribution de la lumière et de l’ombre, les oppositions ou les harmonies de couleurs, voilà les ressources dont le peintre peut disposer très légitimement. On ne peut se placer devant la Transfiguration sans que les regards ne se tournent tout d’abord vers le principal personnage de la scène, qui pourtant est dans un plan en retraite. Les professeurs vous expliqueront que les bras étendus des deux apôtres, à gauche du spectateur, forment une ligne de rappel oblique que l’œil suit involontairement jusqu’à la figure du Christ. Ils vous feront voir du côté opposé une autre ligne conduisant au même point. Enfin ils vous feront remarquer que les couleurs vives répandues dans la direction de ces mêmes lignes et tranchant sur un fond sombre ou d’un ton rompu ajoutent encore à cet effet, de façon que, sans s’en douter, le spectateur examine le tableau précisément de la façon dont le peintre l’a conçu. Pour arriver à ce résultat, il est bien entendu que l’art même doit se cacher, car, dès qu’il se montre, le spectateur ne porte plus son attention sur l’œuvre qu’on lui présente, mais sur les moyens employés par l’artiste.

Aucune palette n’offre de couleurs assez vives pour rendre l’éclat d’un corps frappé par une lumière comme celle du soleil. Cependant Claude Lorrain a osé représenter le soleil lui-même, et il y est parvenu avec un disque de jaune de Naples. Si l’on isole ce disque, ce n’est plus le soleil, mais un rond jaune assez terne. Le peintre a eu le merveilleux talent de conserver dans son tableau les rapports de