Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que M. Agassiz a été l’âme du mouvement auquel ils ont pris part, et que le premier il a imprimé une direction scientifique aux études sur les glaciers. Comme un général entouré de ses lieutenans, il faisait les plans de campagne et dictait les ouvrages qui rendent compte de ses opérations.

Le glacier inférieur de l’Aar est formé par le confluent de deux glaciers qui descendent l’un du Schreckhorn, l’autre du Finsteraarhorn, cime la plus élevée de la chaîne des Alpes bernoises. Voici à l’aide de quelles expériences M. Agassiz en étudia la marche : il fit planter des lignes de pieux en travers du glacier ; au moyen de marques tracées sur les rochers qui forment les parois de la vallée et à l’aide d’une lunette, on observait chaque jour de quelle quantité chacun des pieux s’était déplacé. On remarqua ainsi qu’une ligne de pieux primitivement droite s’infléchit de plus en plus, parce que les plus rapprochés du centre descendent plus vite que ceux qui sont sur les bords. Ces expériences donnèrent la preuve que les glaciers sont de vrais fleuves solides qui se meuvent exactement, bien qu’avec une vitesse que l’œil ne peut saisir, comme les fleuves ordinaires, où le courant est d’autant plus rapide qu’on s’éloigne plus de la rive. Dans les rivières, on nomme thalweg la ligne où la vitesse est la plus forte ; cette vitesse maximum y varie d’ailleurs d’un point à un autre : il en est de même dans les différentes parties d’un glacier. À l’époque des observations de M. Agassiz, le glacier de l’Aar avançait de 80 mètres pendant un an à la partie supérieure, de 60 mètres à la partie moyenne, de 28 mètres seulement à l’extrémité.

M. Forbes a fait des expériences analogues sur un des glaciers qui descendent dans la vallée de Chamouni. Ses opérations ne furent cependant ni aussi rigoureuses, ni aussi longtemps suivies, et il n’y aurait pas lieu à les rappeler, si M. Forbes, abandonnant les idées de M. Agassiz, n’avait cherché à expliquer le mouvement des glaciers par une théorie nouvelle, aujourd’hui plus généralement admise. Les diverses portions d’un glacier ne marchant point avec une égale vitesse, M. Forbes fit observer qu’on ne peut le considérer comme un corps solide et incompressible, mais qu’il jouit réellement, bien qu’à un degré très imparfait, de la propriété des corps liquides, où les différens points se déplacent les uns par rapport aux autres. Il le compara à une matière visqueuse et plastique qui descendrait sur une surface légèrement inclinée, et se moulerait sur toutes les inégalités qu’elle rencontre. Des expériences directes ont démontré que la glace jouit d’un certain degré de plasticité : M. Christie, en faisant congeler de l’eau dans un globe creux, percé d’une ouverture, en a vu sortir un petit cylindre de glace, par suite de la dilatation qui accompagne le passage de l’eau à l’état solide ; mais quand on parle de la plasticité