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des glaciers, il importe de se rappeler qu’ils ne sont point uniquement formés de glace, et qu’il s’agit d’un mélange de glace et d’eau à proportions variables. Pendant l’été, la masse du glacier est entièrement imprégnée d’eau, les fissures en sont constamment remplies, et il est impossible que la pression même de l’eau ne joue pas un rôle important dans le phénomène de la marche des glaciers : quand des crevasses demeurées longtemps vides se remplissent par suite des pluies, des fontes de neige, les pressions se communiquent plus facilement, et la mobilité de ces gigantesques masses se trouve accrue.

Malgré ce qu’a de séduisant la théorie de M. Forbes, quelques géologues, M. Hopkins entre autres, refusent encore de l’admettre, parce que la multitude des fissures qu’on aperçoit dans les glaciers et ce qu’on pourrait nommer l’incohérence des matériaux qui les composent ne se concilient pas, suivant eux, avec la conception d’une masse visqueuse ou plastique ; mais si, comme ils l’assurent, un glacier n’était qu’une accumulation de blocs de glace entassés les uns à côté des autres et simplement entraînés par la pesanteur, ces blocs devraient être arrêtés dans les parties les plus étroites des vallées, et finiraient par les encombrer, tandis que les glaciers franchissent au contraire les détroits et les étranglemens comme des fleuves ordinaires, et suivent docilement toutes les anfractuosités du terrain. Au reste, ce qui ressort aujourd’hui de tous les travaux dont M. Agassiz a été le promoteur, c’est que le mouvement des glaciers se rattache à des causes plus complexes qu’on ne l’avait cru à l’origine. Il y a encore à faire la part rigoureuse de ces divers élémens, et c’est une question qui présente un digne sujet de recherches aux physiciens comme aux géologues.

Les études de M. Agassiz n’ont pas été bornées aux glaciers actuels, et il n’a approfondi un grand nombre des phénomènes dont ils sont aujourd’hui les agens qu’afin de déterminer à quels indices l’on peut reconnaître l’action et l’étendue des glaciers disparus ou amoindris. M. Charles Martins a développé avec beaucoup de clarté ces caractères singuliers[1] : il a montré comment les glaciers polissent la surface et les flancs des vallées où ils se fraient un passage, comment les cailloux incrustés dans la glace, agissant comme un burin sur les rochers, y creusent lentement des stries à la faveur du mouvement qui entraîne les glaciers, comment les blocs tombés des hauteurs qui les dominent sont portés au loin, et forment les traînées et les amas qu’on appelle des moraines. Partout où ces caractères se retrouvent, — roches polies et striées, blocs anguleux

  1. Dans l’étude déjà citée, Revue du 1er mars 1847.