Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phénomènes se produisent dans les régions polaires antarctiques : les montagnes de glace y circulent plus librement, et vont porter à des latitudes encore plus lointaines les débris dont elles sont chargées. La plupart des caractères du terrain erratique s’expliquent assez aisément, si l’on admet que les glaces flottantes ont joué le rôle d’agent de transport. Ainsi l’on a remarqué que les blocs les plus gros sont ordinairement entassés sur des crêtes : les falaises de la côte méridionale du golfe de Finlande, qui ont 50 mètres de hauteur, en sont couvertes, ainsi que les collines qui dominent le lac Onega. On ne rencontre pas un seul bloc sur les plaines de sable qui avoisinent Posen, et, pour en trouver, il faut atteindre la frontière plus élevée de là Pologne. On expliquerait difficilement ce fait par l’hypothèse de M. Agassiz ; on comprend très bien au contraire que les glaces flottantes viennent s’échouer et déposer leur fardeau sur les parties les plus hautes du fond de la mer.

Les stries qui sillonnent parfois les rochers recouverts par le terrain erratique ont fourni un des argumens les plus puissans à M. Agassiz et à ses partisans ; mais on ne voit guère pourquoi les glaces flottantes ne posséderaient pas le pouvoir de strier les roches aussi bien que les glaciers. Dans leurs longs détours à travers les détroits qu’elles obstruent chaque année, ces grandes masses exercent sans aucun doute une énergique action sur les rochers qui s’opposent à leur passage. Si les courans souterrains qui les entraînent sont assez forts pour les faire avancer quelquefois contre le vent, on comprend sans peine que, lorsque ces masses gigantesques viennent s’échouer sur un bas-fond, les pierres qui y sont incrustées impriment sur la roche solide qui forme l’obstacle des traces ineffaçables. Les débris mêmes qui sont semés sur le bas-fond, se trouvant comprimés avec une violence irrésistible, peuvent servir de burin et jouer à peu près le même rôle que la boue qu’on trouve partout sous les glaciers. Les coquilles marines qu’on a rencontrées dans beaucoup de dépôts meubles erratiques, les preuves aujourd’hui multipliées que la partie boréale de notre hémisphère est sortie des eaux depuis une époque géologique très récente et subit encore un certain mouvement d’exhaussement, toutes ces considérations se réunissent pour donner une grande probabilité à l’hypothèse qui attribue, en partie du moins, à l’action des glaces flottantes ce qu’on nomme un peu vaguement encore le terrain erratique. On en sait assez aujourd’hui pour affirmer que tout ce qui est encore compris sous ce nom ne peut être attribué à une cause unique ; mais on n’est pas encore en état de faire la part des origines diverses de ce terrain, parmi lesquelles, avec les glaciers proprement dits et les glaces flottantes, il faut compter les grands courans qui ont balayé diverses parties