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courant, qui longe toute la côte est du Groënland, et qui amène aussi très souvent à la partie nord de l’Islande, d’une manière très fâcheuse, les champs de glace détachés de la ceinture qui aujourd’hui rend inabordable l’île de Jean-Mayen, et qui peut-être va s’appuyer au Spitzberg. On appelle banquise cette triste bordure d’eau de mer gelée qui ne permet pas aux navigateurs d’atteindre une côte où elle est adhérente. Ce sont les débris de la banquise, rompue par les marées ou par les tempêtes, qui forment les champs de glace, champs en général peu épais, formés de l’eau de mer congelée, et qui, en se solidifiant, s’est cependant un peu dessalée, tandis que les montagnes de glace flottantes ont une tout autre origine. Elles proviennent des glaciers de l’intérieur, sont exclusivement formées de glace d’eau douce, et ont souvent des épaisseurs de plusieurs centaines de mètres, dont un huitième environ s’élève au-dessus du niveau de la mer. Quelques-uns de ces monts de glaces (icebergs, eisbergs) ont près d’un kilomètre de diamètre, et forment les masses mobiles les plus formidables qu’on puisse observer dans la nature. Ce n’est que dans le bras de mer qui sépare le Groënland de l’Amérique que l’on rencontre ces flottes de montagnes de glace. Elles suivent le courant qui descend le détroit de Davis, et plongent si profondément dans la mer, que souvent, poussées par le courant, elles vont contre le vent. C’est alors un singulier spectacle de voir la montagne avancer contre la direction de cette espèce de courant superficiel qu’occasionne le souffle du vent, et que les Anglais désignent par le nom de drift. Comme il y a une espèce de remous occasionné par le courant qui descend le détroit de Davis, lequel contre-courant ou remous marche au nord le long de la côte occidentale du Groënland, c’est là que viennent souvent tournoyer ces vastes écueils flottans, et ceci n’est point une expression poétique. On conçoit qu’avant de se fondre, ces masses prodigieuses, entraînées vers le sud par le courant qui les porte, arrivent sur la route que suivent les vapeurs transatlantiques entre New-York et l’Angleterre. Elles sont la terreur des capitaines et des passagers. Un matelot est sans cesse en vigie, et à des intervalles réglés il crie au capitaine : No icebergs, sir ! (Il n’y a pas de monts de glace, capitaine !) On attribue avec juste raison à ces écueils mobiles que ne peut indiquer aucune carte marine la perte corps et biens de grands navires qui ont disparu subitement sans qu’on ait signalé de tempêtes à cette époque. Or, par un temps de brume, comment éviter de se perdre contre une montagne de glace ? D’après les observations recueillies par l’expédition de la Reine-Hortense sur le navire abandonné qui contourna la pointe sud du Groënland pour aller s’échouer dans les baies de la côte ouest de ce pays, en suivant le remous du courant de Davis, je crois qu’on peut présumer que M. Duperrey et M. Finlay font