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qui contient la dépouille mortelle de la sainte. Ce n’est qu’une fiction, car les reliques et la châsse précieuse qui les enferme ont été mises en lieu de sûreté ; mais on comprend que les intentions et les impressions conservent la même efficacité. Sous le cénotaphe, élevé de plus d’un mètre au-dessus du sol, passent neuf fois par jour, pendant neuf jours, les malades ou ceux qui les remplacent à leur intention, pour implorer l’intercession de la sainte. Les genoux des supplians ont profondément creusé la pierre du pavé. À certaine époque, les chanoines de l’église avaient un privilège pour pratiquer l’exorcisme. Pendant cette neuvaine, qui du reste est facultative, les aliénés sont logés dans une humble maison adossée à la grande tour de l’église. Des carcans et des chaînes scellés au mur semblent attendre les possédés du démon, double symbole du mal qui rend ces liens nécessaires et de la prière qui les fait tomber. Les femmes chargées de présider aux cérémonies de la neuvaine, et qui en recueillent quelques bénéfices, se plaignent que les pensionnaires deviennent de plus en plus rares chez elles, quoique les fous, assurent-elles, soient aussi nombreux que jamais à Gheel et au dehors.

Dans le chœur de l’église, aux hommages religieux se mêlent quelques souvenirs profanes. Un monument consacré à la gloire des anciens comtes de Mérode rappelle que Gheel est situé sur les terres qui furent autrefois les domaines de cette illustre famille : c’est un cénotaphe élevé à la mémoire de Jean, seigneur de Mérode, Perwez, Duffel, Leefdale, Waelhen, Gheel et Westerloo, renommé par ses vertus héroïques et sa fervente piété, mort en 1550, à l’âge de cinquante-trois ans. On remarque sur un mur destiné à masquer des portes latérales les armoiries de la famille de Mérode et une scène de dévouement dont le sens n’est pas bien certain. Cette belle et grande église, tout annonce que les fous en ont été les principaux ouvriers. La pierre, qui est le grès calcaire appartenant au terrain tertiaire des environs de Bruxelles, a dû être charriée de dix lieues au moins de distance, à travers des chemins presque impraticables. À transporter d’aussi loin tant de milliers de mètres cubes de pierre, la dévotion la plus laborieuse des familles n’eût point suffi sans une assistance gratuite et infatigable. Quels autres auxiliaires ont-elles pu trouver que les pauvres fous, heureux de travailler pour leur vierge bien-aimée ? C’est probablement aussi quelque artiste aliéné qui a sculpté sur bois la légende de Dymphne.

Au sortir de l’église, en quelques pas, vous êtes dans les champs. Un coup d’œil vous renseigne sur les alentours de la petite ville. La campagne paraît bien cultivée, coupée, comme un parc, de nombreux sentiers. Au sud se déroulent des prairies ; au nord et à une forte demi-lieue, les bruyères reprennent sur les vastes plaines leur empire,