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tiques des divers, marchands dont il avait donné l’adresse à son protégé, et il s’était assuré leur concours dans sa tentative pour exploiter le plus largement possible la naïveté du jeune paysan. Il prit donc très volontiers rendez-vous avec Benjamin pour le diriger dans ses emplettes ; il trouva moyen d’avertir tout bas les marchands, qu’il lui avait procuré trois mille piastres, et qu’il était bon pour cette somme. Chacun des marchands, cela va sans dire, conçut aussitôt la pensée d’attraper intégralement les trois mille piastres, et cette fois Athanase fut réellement de quelque utilité à Benjamin, ou du moins il empêcha les limiers que lui-même avait lancés à ses trousses de le dévorer complètement. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’Athanase se chargea du partage des trois mille piastres, que les marchands n’en touchèrent en effet qu’une très petite portion, et qu’à sa nouvelle visite à la ville Benjamin se trouva, à son inexprimable étonnement, devoir de l’argent à tous ses fournisseurs ; mais cette seconde visite n’eut lieu que bien longtemps après la première, et le moment n’est pas venu d’en parler.

VIII.

Nous ne suivrons pas Benjamin dans toutes ses pérégrinations à travers le bazar : il suffit de l’accompagner chez le Grec Cyriagul, parent d’Athanase et maquignon par état. Lui-même se donnait pour marchand de grains ; mais cette profession l’obligeant à entretenir et à employer un assez grand nombre de chevaux, il en avait toujours quelques-uns de fourbus ou d’épuisés, dont il se défaisait volontiers au détriment de ses amis. Athanase avait prévenu Benjamin qu’il allait le conduire chez un des plus habiles connaisseurs en fait de chevaux. — Déguisez un cheval comme il vous plaira, coupez-lui la queue et la crinière, rasez-lui le poil, laissez-le pendant trois semaines sans manger ni boire, déferrez-le, rendez-le boiteux, faites ce que vous voudrez enfin : si ce cheval a une goutte de bon sang dans les veines, dans quelque état que vous l’ayez mis, il le reconnaîtra au premier coup à œil. Je l’ai vu faire des marchés merveilleux. Il acheta il y a dix-huit mois un cheval auquel tous les connaisseurs donnaient vingt ans, et qui paraissait tout au plus pouvoir remuer les jambes. Cyriagul n’écoute personne, il laisse chacun rire et se moquer ; il achète le cheval pour le prix qu’on lui en demande (deux cent cinquante piastres) et l’amène dans son écurie, où il le tient enfermé quarante-sept jours sans le laisser voir à personne. On croyait le cheval mort depuis longtemps, lorsqu’un beau matin (le matin même du quarante-huitième jour) nous voyons paraître Cyriagul monté sur un arabe magnifique, un cheval comme