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Trois types principaux dominent le livre de M. Bersezio : l’épicurien égoïste qui, dans l’arène où se débattent les affaires du pays, recherche un terrain favorable à ses propres affaires ; — l’orgueilleux qui, pour arriver au pouvoir, sacrifie ses convictions ; — l’homme d’action qui se forme à la vie politique par la vie des camps. Il a nommé l’un Poggei, l’autre Cosma Grechi, le dernier Tiburzio. Ces trois hommes, dont chacun est le sujet d’une histoire distincte, finissent tous par se rencontrer dans les rangs du parti libéral qui se groupe autour du ministère. L’auteur a-t-il voulu montrer combien la période d’épreuves par laquelle on arrive à la vie publique en Italie est peu propre encore, à part quelques exceptions, à former des caractères énergiques, des citoyens vraiment dévoués à leur pays ? Cette démonstration eût gagné peut-être à se produire avec plus de développemens, à embrasser tous les partis au lieu de n’atteindre que le parti libéral. Quoi qu’il en soit, si les nouvelles de M. Bersezio nous laissent regretter de graves lacunes, elles n’en contiennent pas moins, je l’ai dit, beaucoup de vérités : c’est ce qui m’engage à exposer d’après l’auteur les destinées de ses trois personnages principaux, sans trop introduire la discussion dans le récit, sauf à dire mon opinion du procédé de l’écrivain, quand on le connaîtra mieux.

Le premier personnage que M. Bersezio présente à ses lecteurs, c’est donc l’avocat Jean-Bernard Poggei, député au parlement piémontais, chevalier de l’ordre des saints Maurice et Lazare. Petit et gros de sa personne, le chevalier Poggei a les épaules voûtées, le ventre rond, la figure grassouillette et dépourvue de barbe, les cheveux d’un blond cendré, les yeux semblables à ceux d’un chat, le nez effilé comme le museau d’une taupe. Une cravate blanche, une paire de lunettes, un sourire banal et pour ainsi dire stéréotypé, complètent la physionomie moitié béate, moitié solennelle, de cet important personnage. Il est marié, et se console, dit-on, de la laideur de sa femme avec d’aimables pécheresses, ce qui ne l’empêche pas d’avoir sans cesse à la bouche les grands mots de morale, de famille et de religion.

À l’université, il était le préféré de ses maîtres, et s’attachait à mériter les faveurs dont ils le comblaient. Il écoutait avec une attention scrupuleuse et avait toujours la réponse prête. D’une tenue exemplaire en classe et à la messe, il ne faisait jamais l’école buissonnière ; il ne fumait pas, ne jouait pas au billard, n’avait en un mot aucun de ces défauts par lesquels les enfans croient ressembler à des hommes, et que les hommes faits ne savent pas assez leur pardonner. Son père servait de secrétaire à plusieurs grands seigneurs, et l’avait de bonne heure imbu de cette maxime : « rien du prince,