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d’amour-propre qui pouvaient s’escompter à beaux deniers comptans ? Les confidences du marquis de Baldissero l’amenèrent à prendre rang parmi ceux qui marchèrent les premiers dans les voies de l’avenir et du progrès. Admis aux conseils secrets de Charles-Albert, le marquis apporta un soir chez lui cette nouvelle inattendue, que le roi songeait à donner une constitution à ses sujets. Poggei était présent. Le lendemain, sans rien répéter de ce qu’il avait entendu, il parcourut toute la ville, préconisant à haute voix le régime constitutionnel, l’équilibre des pouvoirs, les formes représentatives, les droits parlementaires. Dans ses momens de loisir, il étudiait les discussions des chambres anglaises et françaises, « afin, dit l’auteur, de devenir un Palmerston in-dix-huit. »

Ce qui m’étonne après tant d’efforts, c’est qu’un tel personnage ait, au dire de M. Bersezio, échoué dans sa première candidature parlementaire. Son concurrent avait beau être un exilé de 1821, c’est-à-dire un homme qui avait fait ses preuves de patriotisme autrement qu’en paroles : je ne puis admettre le fait qu’à titre d’exception ; or ce n’est pas une exception que M. Bersezio veut mettre sous nos yeux. Le grand citoyen dont on avait lu les innombrables discours et vu le portrait aux étalages sous les portiques de la rue du Pô devait trouver sa place au premier parlement de son pays. Admettons cependant de la part des électeurs en cette occasion une intelligence des hommes dont ils font rarement preuve : Poggei trouva des consolations au cercle (club) della Rocca, dont il fut l’un des principaux orateurs. C’est là qu’il se livra à tous les emportemens de la passion et de l’éloquence dans la déplorable affaire de la future capitale du futur royaume de la Haute-Italie. Sa clientèle d’avocat était à Turin, il ne se souciait guère d’appartenir à un barreau de province, et si, comme il l’espérait bien, il devenait un jour député, il voulait n’être pas réduit à sacrifier ses intérêts pendant la moitié de l’année, et pouvoir mener de front ses affaires privées, celles de ses cliens et celles de l’état. C’est pourquoi au club et dans la presse nul ne soutint plus ardemment que lui les droits de Turin à rester capitale d’un royaume qui aurait eu pour principales villes Milan et Venise ; il faisait de la propagande dans les rues, publiait des libelles anonymes, rédigeait des pétitions à la chambre et ouvrait des souscriptions.

Durant quelques jours, après les revers de la campagne de Lombardie, il se déclara partisan du ministère démocratique présidé par Gioberti, parce qu’il voyait bien que l’opinion générale, d’accord avec la volonté du roi, amènerait avant peu la reprise des hostilités ; mais le désastre de Novare le ramena sans transition à l’extrémité opposée : il ne faisait bon qu’à droite, puisque la réaction allait