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traversées le Piémont durant ces dernières années ont rudement éprouvé les caractères, et il n’est pas étonnant que des hommes soumis jusque-là au pouvoir absolu, qui les dispensait d’agir et de penser par eux-mêmes, n’aient pas compris du premier coup en quoi consistait la probité politique et quelles en étaient les exigences, sans compter que, dans une foule de questions, quelquefois les plus importantes, le pour et le contre pouvaient être honorablement soutenus. En réduisant à des proportions raisonnables les travers de Poggei, peut-être trouverait-on en lui un député qui a fait l’éducation de sa conscience, et qui, après des tergiversations inexcusables, s’est très sincèrement dévoué au gouvernement établi, dont il confond les destinées avec ses propres intérêts. Il n’est pas si facile, à ce qu’il paraît, d’être, je ne dis pas un honnête homme, mais un citoyen honnête, puisque les crises politiques dans tous les pays nous offrent le désolant spectacle de tant de faiblesses, je ne veux employer qu’un mot dont on ne contestera pas la modération. Quiconque se rappelle les palinodies de nos années révolutionnaires y regardera à deux fois avant de jeter la pierre aux empiriques piémontais dont le député Poggei est l’image, si toutefois l’on admet que la caricature soit encore un portrait.

Le second personnage de cette galerie, plus triste que le premier, ne manque pas non plus de vérité. Le chevalier Grechi de Savornio est un homme hautain, solennel, gonflé de lui-même ; sa tête est chauve et fièrement rejetée en arrière, son sourcil froncé et son regard sévère. Vêtu avec recherche, il porte invariablement une haute cravate blanche ; le ruban vert est à sa boutonnière, et une tabatière d’or ne quitte jamais sa main. On dirait que sur lui reposent les destinées du monde, tant il se considère avec respect. Malgré ces dehors superbes, Cosma Grechi ne diffère pas beaucoup au fond de Poggei. L’un et l’autre veulent parvenir et jouir ; mais l’un recherche surtout l’argent et les honneurs, l’autre l’exercice du pouvoir et la considération. Cosma était né Grechi tout court, d’une famille opulente que des revers de fortune imprévus avaient réduite à la misère. Lorsque cette catastrophe arriva, il était déjà d’âge à comprendre tout ce qu’ont de cruel des privations dont on n’a pas l’habitude. Il avait dû solliciter et s’estimer heureux d’obtenir un modeste emploi dans un ministère ; ses émolumens servaient à l’entretien de sa nombreuse famille : il avait deux sœurs et un frère tout jeunes encore. Son père et sa mère, aigris comme lui par le malheur, lui rendaient le foyer domestique insupportable. N’entendant que des plaintes et des paroles amères, il avait hâte de s’échapper ; mais au dehors son orgueil le condamnait à l’isolement : il n’aurait pas voulu fréquenter des camarades ou des collègues