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qui consentaient encore à lui faire dans l’occasion l’aumône d’une poignée de main.

On devine de quelles réflexions dut être assaillie dans ses loisirs forcés cette âme ardente et inquiète. Cosma Grechi avait trente-cinq ans, l’âge où l’ambition vient aux hommes les plus obscurs ; or il avait déjà savouré les triomphes, sinon de la gloire, du moins d’une bruyante renommée ; il désirait boire de nouveau à cette source empoisonnée ; il sentait se réveiller en lui, par la force du souvenir et l’attrait des contrastes, le goût de toutes ces jouissances matérielles qu’il avait connues dans son enfance, et il se disait qu’il n’avait rien à espérer, s’il continuait à marcher dans la ligne politique à laquelle il devait un nom. Sans avoir de parti pris, il comprenait la nécessité de la prudence, cette vertu mère de toutes les lâchetés. Il se répétait à lui-même ce sophisme commode de tous les ambitieux, que si son pays ne voulait pas le suivre dans les voies qu’il jugeait les meilleures, ce n’était pas une raison pour condamner éternellement son talent à d’infructueux loisirs, et qu’il était honorable, après tout, de rentrer dans la vie publique, même au prix de certains sacrifices d’opinion, quand on avait la conviction de pouvoir être utile à ses concitoyens. Sans qu’il s’en doutât, son âme était à vendre et n’attendait plus qu’un acheteur. Un jour le démon tentateur grimpa jusqu’à sa mansarde sous les apparences de l’avocat Poggei.

Poggei avait connu Grechi au cercle della Rocca, dont celui-ci était le plus éloquent orateur. Dans le moment fort court où l’on put croire, à Turin, au triomphe des idées démocratiques, il s’était montré l’un des plus fervens admirateurs de ce talent sauvage, et l’avait poussé vers les exagérations déraisonnables auxquelles il se sentait lui-même, porté en sa qualité de nouveau converti. L’un des premiers, il avait souscrit à son journal, et l’un des premiers aussi, après la débâcle, il avait commencé de détourner la tête du plus loin qu’il apercevait le fougueux tribun. Cependant, lorsqu’il fut devenu un fervent apôtre de la foi constitutionnelle et le défenseur quand même du ministère, il sentit le besoin d’une plume vigoureuse et vive pour donner de la valeur au journal modéré qu’il patronait. Après avoir cherché quelque temps autour de lui, il songea à Cosma Grechi. Si invraisemblable que fût l’acceptation de celui-ci, Poggei n’en désespéra pas : sous ses dehors hautains et graves, l’homme de chicane avait flairé l’ambitieux ; il n’eut donc pas pour s’adresser à lui les hésitations et les scrupules qu’un cœur droit eût éprouvés. Quand le chevalier Poggei entra dans la pauvre mansarde, Grechi rougit d’être surpris au sein d’une si profonde détresse : cette impression, si fugitive qu’elle pût être, fut pour l’œil observateur de l’arrivant un indice certain des dispositions conciliantes où il trouvait