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destinées de Rome n’empêche pas qu’on ne sente chez lui un pressentiment de sa chute et un effroi de sa ruine. Dans un poème où il dit que l’empire ressuscite, imperio sua forma redit, que Rome est aussi grande que le ciel et qu’elle ne peut périr, il la représente comme « une vieille femme dont la voix est faible, le regard abattu, dont la maigreur ronge les bras, qui soutient à peine sur ses épaules malades son bouclier souillé de poussière, dont le casque qui ne tient plus laisse voir la chevelure blanchie, et qui traîne une pique rouillée. » Cette peinture est plus vraie que l’autre. La première a été inspirée à Claudien par l’apparence extérieure que Rome lui présentait encore ; la seconde, par un sentiment vrai de son affaiblissement politique, résultat de son épuisement moral. Claudien est bien le poète de ce temps, où le néant se cache sous la splendeur. On conçoit qu’en présence de cette splendeur, après une victoire, la dernière, remportée sur Alaric, il rêve la résurrection de Rome et de l’empire. Dans cette illusion d’une renaissance impossible, il va jusqu’à croire que les suffrages qui, pour la sixième fois, ont nommé l’empereur consul sont des suffrages sérieux, que les votes du Champ-de-Mars ne sont pas une fiction ridicule. Il célèbre avec enthousiasme « le Tibre s’applaudissant de revoir dans Honorius et Numa et Brutus, le Palatin saluant le consul impérial, et des licteurs royaux entourant le forum de leurs faisceaux dorés. » Singulier mélange d’ivresse monarchique et de réminiscences républicaines ! Ailleurs il évoque les Fabricius et les Scipions, il invite Caton lui-même à sortir de son tombeau, et propose Brutus à l’admiration d’Honorius. Le plus courtisan des poètes a parfois des accès de républicanisme farouche ; il s’écrie que « le peuple romain, après que le fier César se fut emparé des droits de tous, est tombé dans le sein d’une paix servile. » Mais tout cela est creux ; le patriotisme romain au temps de Claudien est moins solide que les temples, et quand il n’y a pas encore de ruines, il est déjà une ruine.

Claudien n’est point le seul qui nous atteste combien Rome était intacte vers le commencement du Ve siècle. Thémiste écrivait : « Rome est quelque chose d’immense que le discours ne saurait égaler, c’est un océan de beauté. » En 420, un poète gallo-romain, Rutilius Numatianus, pouvait encore dire : « Grâce à l’or qui couvre les temples, le ciel de Rome surpasse en éclat tout autre ciel. Rome se fait à elle-même son jour, un jour plus pur. »

Un peu plus tard, un autre Gallo-Romain, Sidoine Apollinaire, avait le plaisir de voir sa statue dans la basilique Trajane, où l’on plaçait encore les portraits des littérateurs célèbres, comme au temps de Claudien. Le même honneur fut accordé à un certain Mérobaude, dont Niebuhr a retrouvé des vers animés de sentimens