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Bélisaire était un de ces hommes du VIe siècle en qui vivait un reste de l’ancien esprit romain, comme fut Boëce, plus platonicien encore que chrétien, et qui, accusé d’avoir conspiré contre Théodoric pour rétablir la république romaine, écrivait dans sa prison ces belles paroles : Plût à Dieu qu’elle pût être rétablie !

Le Muro-Torto offre aussi un souvenir curieux de cette époque. On nomme ainsi un pan de muraille qui, avant de faire partie du rempart d’Honorius, avait servi à soutenir la terrasse du jardin des Domitius, où fut la sépulture de Néron, et qui, du temps de Bélisaire, était déjà incliné comme il l’est aujourd’hui. Procope raconte que Bélisaire voulait le rebâtir, mais que les Romains l’en empêchèrent, affirmant que ce point n’était pas exposé, parce que saint Pierre avait promis de le défendre. Procope ajoute : Personne n’a osé réparer ce mur, et il reste encore dans le même état. Nous pouvons en dire autant que Procope, et le mur, détaché de la colline à laquelle il s’appuyait, reste encore incliné et semble près de tomber. Ce détail du siège de Rome est confirmé par l’aspect singulier du Muro-Torto, qui semble toujours près de tomber, et subsiste dans le même état depuis quatorze siècles, comme s’il était soutenu miraculeusement par la main de saint Pierre. On ne saurait guère trouver pour l’autorité temporelle des papes, au moment où j’écris, un meilleur symbole.

Après Bélisaire, l’eunuque Narsès se montra le seul homme de l’empire. Il défendit contre Vitigès le mausolée d’Adrien, qui déjà était devenu ce qu’il a toujours été et ce qu’il est encore aujourd’hui, la citadelle de Rome. Ce fut pour repousser l’assaut de Vitigès que les troupes grecques lancèrent sur les assaillans les statues qui décoraient le magnifique monument sépulcral d’Adrien. Parmi ces statues était un chef-d’œuvre de l’art antique, le faune Barberini, qui orne aujourd’hui la très remarquable glyptothèque de Munich. Cette fois ce n’étaient pas les Goths, mais les Grecs qui étaient les barbares, comme avant ce temps ce n’était pas Alaric qui avait fait fondre des statues de bronze qui existaient encore dans les temples fermés par Théodose, mais les Romains, pour payer à Alaric la rançon de leur vie.

Les Barbares ont été calomniés. Les ravages dont ils furent les auteurs ont été fort exagérés ; on leur attribue généralement la destruction des statues et des monumens. Les Barbares ne s’amusaient guère à briser des statues ou à les fondre. Si la Vénus du Capitole, qui a été trouvée enfouie dans un mur, a été cachée là par crainte de la destruction, c’est qu’on a voulu la protéger contre le zèle des chrétiens plutôt que la sauver de la fureur des Barbares[1].

  1. Une barbarie d’un autre genre a fait depuis quelques années traiter cette belle statue comme une image obscène et inspiré l’idée honteuse de la placer au Capitole dans un cabinet réservé avec le groupe si pur de l’Amour et de Psyché enfans, au lieu de la montrer à tous dans sa chaste et majestueuse nudité.