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Les statues qui n’étaient pas enterrées ou que l’on déterrait par hasard étaient sans doute exposées à être défigurées par ce goût brutal de détruire qui est celui des hommes grossiers de tous les temps, et parmi ceux-ci je place au premier rang les touristes qui mutilent une statue pour le sot plaisir d’emporter un doigt ou une oreille : vol stupide dont Rome voit chaque jour, en pleine civilisation, quelque ignoble exemple. À cette rage de destruction sans but un motif superstitieux a pu se joindre. Rien ne manque plus souvent aux statues antiques que le nez ; sans doute cette partie du visage est fort exposée, mais souvent le nez semble avoir été cassé et comme arraché à dessein. Je ne pouvais m’empêcher de m’étonner de cette rareté des nez antiques, quand un jour je crus avoir trouvé le mot de l’énigme. M. Dubois me racontait l’histoire de la Minerve d’Olympie, que l’on peut voir au Louvre : elle fut trouvée le soir presque intacte ; grande joie parmi les membres de l’expédition scientifique de Morée. Le lendemain, on se hâte d’aller la considérer au grand jour ; mais, ô douleur ! Minerve avait le nez cassé. Les paysans grecs sont convaincus que les statues qu’on tire de terre ont le mauvais œil et portent infailliblement malheur à ceux qui les ont trouvées, que le seul moyen de se mettre à l’abri de ce danger est de les mutiler. La croyance au mauvais œil est, comme on sait, commune aux Grecs et aux Romains depuis Théocrite et Virgile jusqu’à nos jours. Ce peut donc être une cause de plus de la mutilation des statues antiques, et qui n’a rien à faire avec les Barbares. Sous Alexandre VII, un paysan ayant découvert des figures en mosaïque dans un lieu souterrain, un certain prêtre lui déclara que ces figures étaient des démons, et lui persuada de les briser. Le pape le sut et envoya le paysan aux galères. Alexandre VII aurait dû être plus indulgent, car une mosaïque brisée était un acte de barbarie moins révoltant que la démolition de l’arc de Marc-Aurèle.

Quant aux monumens, les Barbares n’avaient ni l’envie, ni le temps, ni les moyens de les renverser. Pourquoi les auraient-ils renversés ? Le mot de barbare, qui dans l’origine voulait dire seulement que les peuples auxquels on le donnait n’étaient pas Romains, ce mot qui par cela même était pris en mauvaise part a fait illusion à la postérité. On se représente parfois les Barbares comme des légions de diables qui se ruaient sur la civilisation avec une haine furibonde ; il n’en est rien. Les Barbares n’étaient animés d’aucune antipathie violente contre la société romaine, la plupart étaient depuis assez longtemps en contact avec elle. Souvent ils avaient servi dans les armées de l’empire, et ressemblaient plus à des bandes de