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l’a dit souvent, mais ils y ont réparé et reconstruit. Ils eurent parfois honte du rôle de destructeurs. Vitigès et Totila obéirent à ce sentiment. L’un voulait faire de Rome un pâturage, mais il y renonça sur une lettre de Bélisaire, et pour l’autre, un roi franc lui ayant reproché d’avoir abattu en partie les murs de Rome, il les rebâtit. Enfin Théodoric, bien que Goth et Ostrogoth, était un barbare à la manière de Charlemagne : il ne se montra jamais l’ennemi de la civilisation romaine ; bien plus, il en comprit la grandeur, quoique déchue, et fit tout ce qui était en lui pour la relever, de même qu’il conservait et réparait les monumens romains. Sans doute ses conseillers Symmaque et Boëce furent pour beaucoup dans ce zèle de Théodoric pour l’antiquité, sentiment qui était au fond de leur âme, et qu’ils surent inspirer au roi barbare ; sans doute, dans ses lettres, c’est souvent son secrétaire Cassiodore qui parle en son nom : il n’en est pas moins certain que Théodoric prit un grand nombre de mesures favorables à la restauration de la civilisation romaine et à celle des monumens de Rome. Théodoric attribua deux cents livres sur la taxe du vin à la réparation du palais impérial. Grâce à lui, ce palais, dont il n’existe plus que quelques grands débris, était encore habitable à la fin du VIIIe siècle, car Charlemagne y a demeuré. Ainsi Théodoric préparait une demeure à Charlemagne, comme il préparait de loin, en le devançant, son règne, qui fut le réveil de la civilisation et des lettres latines. Théodoric abolit l’impôt sur le papyrus, fit reconstruire en marbre le pont Sublicius, réparer le théâtre de Pompée, les aqueducs et les routes, dessécher les marais Pontins. Je veillerai sur les monumens, écrit-il, avec un zèle infatigable. On a trouvé une tuile portant cette inscription : regnante domino Theodorico felix Roma (sous Théodoric, Rome heureuse). Ces paroles ne sont point un mensonge. Amalasonte et Théodat suivirent son exemple, et firent venir de Grèce des marbres pour décorer la capitale de leur empire. Il est curieux de voir prescrire par une loi de Théodoric un soin dont on ne s’est avisé que depuis mon premier voyage à Rome. Déjà le monarque goth ordonnait d’abattre les arbustes qui, croissant sur les anciens édifices, pouvaient en hâter la destruction. J’ai pu regretter cette mesure au point de vue du pittoresque ; mais elle montre chez le roi barbare un désir de conserver les monumens romains qui étonne, et qu’on ne peut s’empêcher d’admirer. Il voulait même qu’on réparât les ruines ; si quid autem senio procubuerit, pervigili charitate reparetur.

Il faut bien que les Barbares n’aient pas autant détruit qu’on le suppose d’ordinaire, car nous avons une statistique monumentale de Rome qui date du milieu du VIe siècle (540), et on va voir qu’à cette époque Rome est loin encore d’être dépouillée ; malgré plusieurs invasions, pas un monument important n’a péri.