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croire à l’abaissement de l’un plutôt que de l’autre, il eût été légitime et parfaitement correct, au point de vue de la stricte probité, de changer d’étalon, et d’investir de cette dignité l’or au lieu de l’argent, on n’avancerait rien que de vrai. Seulement c’eût été changer pour le plaisir du changement même, car il n’est aucunement établi, dans l’esprit de ceux qui ont réfléchi sur ces matières, que d’une manière générale, par l’absence des caractères et des circonstances qui lui sont propres, l’or ait en somme plus de titres que l’argent à être revêtu des fonctions de l’étalon monétaire : je sais plus d’un bon juge qui pense tout le contraire. La question cependant est de celles qu’on peut regarder comme douteuses. Il eût été possible, en faisant ainsi émigrer l’unité monétaire de l’argent à l’or, de conserver le rapport établi entre cette unité et le système métrique : à cet effet, il eût suffi d’adopter pour unité monétaire le gramme d’or au titre de 9/10es, ou bien 5 grammes, ou encore 10 grammes. En ces termes et sous ces conditions, le changement d’étalon aurait pu se soutenir ; on fût resté dans l’esprit qui animait le législateur de l’an XI, continuateur des traditions les plus sensées et les plus honorables de la révolution française. On n’eût pas contrevenu aux engagemens de l’exposé des motifs de la loi de l’an XI, qui invoque la sécurité des transactions et la garantie des propriétés. Mais autre chose serait de changer d’étalon dans l’intention d’attribuer cette qualité à l’autre métal, précisément au moment même où il serait atteint dans sa valeur et lancé dans un mouvement de baisse. Une circonstance aggravante serait que le motif réel du changement consistât précisément dans cette baisse en perspective prochaine, et cela mériterait peut-être d’être qualifié autrement qu’avec des éloges.

Sans doute le législateur de l’an XI nous a liés, mais à quoi donc ? Quelle est la servitude qu’il nous a imposée, si ce n’est celle qu’acceptent tous les honnêtes gens, de payer, exactement leurs dettes, de remplir fidèlement leurs promesses ? Oui, le législateur de l’an XI a engagé ici notre liberté ; mais en cela il n’a point excédé ses pouvoirs. S’il a disposé de nous, c’est du même droit en vertu duquel il a fixé toutes les règles conservatrices de la propriété. Il a aussi disposé de nous et engagé notre liberté quand il a statué que l’état paierait exactement, à des échéances déterminées et sans déduction, l’intérêt de la dette publique, quand il a posé en principe que l’état ne pourrait s’emparer de la propriété d’un particulier autrement que sous le paiement d’une juste et préalable indemnité, quand il a écrit dans le code des moyens de coercition contre le débiteur qui, étant redevable de 100 francs, prétendrait s’acquitter avec 50 ou 75. Où a-t-on vu que ces liens établis par le législateur fussent des excès de pouvoir ? Des servitudes de ce genre sont de celles dont les peuples libres, au lieu de les répudier, s’honorent de porter le joug.