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anglais. L’un d’eux, le phra-klang, était depuis longtemps convaincu des avantages que le royaume de Siam doit retirer du commerce avec l’étranger, car dès 1835 il avait fait construire à Bangkok des navires marchands sur le modèle des bâtimens européens, et inauguré, pour le pavillon siamois, les voyages de long cours. Quant aux deux somdetches, on pouvait supposer que, soit par attachement à la politique traditionnelle du pays, soit par intérêt personnel, ils tenteraient de s’opposer au traité, ou tout au moins de repousser les clauses les plus importantes. Ces deux dignitaires exerçaient depuis plus de trente ans une influence prépondérante à la cour de Siam ; c’étaient eux qui avaient fait échouer la mission de M. Crawfurd en 1822 et celle de sir James Brooke en 1851. Le plus jeune, chargé de l’administration des impôts, était d’ailleurs intéressé au maintien d’un système qui l’avait enrichi. Les somdetches représentaient ainsi, avec une autorité incontestable, le parti de la résistance ; mais le choix des trois autres plénipotentiaires qui devaient décider la majorité était de nature à rassurer sir John Bowring et son principal secrétaire, M. Parkes, consul d’Angleterre à Canton, qui joua un rôle important dans ces négociations.

La mission confiée à l’ambassadeur anglais présentait, il faut le reconnaître, de graves difficultés. Il ne s’agissait de rien moins que de détruire presque entièrement le système économique en vigueur dans le royaume de Siam, et de remplacer par une législation précise le régime d’arbitraire auquel étaient jusqu’alors soumis les Européens résidant à Bangkok. Les produits du sol étaient grevés de lourdes taxes ; toutes les branches d’industrie et de commerce formaient autant de monopoles affermés par le trésor royal. La plupart de ces monopoles étaient peu à peu tombés entre les mains des Chinois, passés maîtres en matière de perception et d’exactions. Sir John Bowring vit comparaître devant lui un vieux Chinois qui, pour sa part, en avait accaparé quatre-vingt-dix. Le malheureux, qui comptait sans doute aller jusqu’à la centaine, fut terrifié quand on lui annonça la chute imminente de ses chers monopoles. On s’explique aisément que sous un tel régime la production, entravée de mille manières, fût à peine suffisante pour les besoins du marché intérieur : tout élément d’échanges avec l’étranger avait disparu. Les marchandises importées et exportées par les navires européens étaient exemptes de droits de douane ; mais ces navires avaient à payer des taxes exorbitantes de tonnage, qui pesaient en définitive sur leurs cargaisons. Quant aux résidens européens, il leur était interdit de posséder des établissemens fixes, de circuler en dehors de Bangkok ; ils ne jouissaient d’aucune garantie pour leurs opérations de commerce, ni même pour leurs personnes. Aussi la population européenne était-elle toujours demeurée presque nulle.