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la mission. Sir John Bowring fut ensuite mandé auprès de sa majesté, qui lui réitéra, dans une audience particulière, les expressions de son bon vouloir à l’égard des Anglais, mit à sa disposition tous les produits de Siam que la mission désirerait emporter comme échantillon, et lui offrit en cadeau deux jeunes éléphans.

Une gracieuse scène de famille termina cette entrevue : le roi fit apporter une jolie petite fille de huit mois, qu’il présenta à sir John Bowring comme son vingt-troisième enfant. Trois mois après, il en était au vingt-septième. La polygamie produit ces énormes familles qui remplissent les demeures des princes, des nobles et des riches. Le premier roi possède, dit-on, pour sa part six cents concubines qui habitent un quartier de son palais, et qui sont gardées ou servies par plus de deux mille femmes, chargées de différentes fonctions au sein de ce vaste harem. Les étrangers ne sont pas admis à visiter les appartemens occupés par les concubines ; on assure que ces mystérieuses retraites renferment, en mobilier, en costumes et en bijoux, de grandes richesses, accumulées pendant plusieurs règnes ; mais il vaut mieux n’accepter qu’avec une certaine défiance les récits fantastiques qui entassent si aisément les trésors dans le palais du roi de Siam. Le chiffre même de six cents femmes est assez suspect. Le roi, qui tient à honneur de connaître les mœurs européennes, ne se dissimulait pas l’effet que devait produire sur les civilisés de l’Occident la polygamie élevée à une si haute puissance. « Expliquez-leur bien, dit-il plus d’une fois à sir John Bowring, que c’est une habitude orientale, consacrée par la loi et par l’usage, conforme à la religion de Bouddha. » Et en vérité on serait tenté de croire qu’en conservant dans son harem autant de concubines, il obéissait plutôt aux mœurs de son pays et aux exigences de sa dignité royale qu’à de grossiers et sensuels penchans, car, après avoir eu onze enfans, il se retira dans une pagode où, pendant vingt-six ans, il observa la plus stricte chasteté, et ce fut seulement à dater de son avénement au trône qu’il connut de nouveau, après une continence aussi longue, les douceurs de la paternité. Seize enfans de 1851 à 1855, complétant, avec les onze enfans nés antérieurement, le chiffre de vingt-sept, attestent cependant que l’ancien talapoin a pris la polygamie fort au sérieux, quoi qu’il pût en coûter à ses prétentions philosophiques. Posséder de nombreuses femmes, c’est, aux yeux du peuple, un signe de richesse et de grandeur ; les nobles suivent du plus près qu’ils peuvent l’exemple du roi, et la polygamie est tellement enracinée dans les mœurs, que les missionnaires chrétiens y voient, non sans raison, l’un des obstacles les plus sérieux qui s’opposent à la propagation de leur foi.

L’ambassade profita de l’occasion solennelle du 16 avril pour visiter le palais, qui, avec ses hautes murailles blanches embrassant