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bas en Angleterre que ce succès est venu d’ailleurs, et que, sans la perspective d’une guerre imminente et la cherté des grains, c’est-à-dire sans le travail arrêté dans les manufactures et une pression plus dure exercée sur l’ouvrier par les besoins de la vie, les coalisés de Preston, loin de recevoir la loi, l’auraient imposée. On va juger de ce qu’il y a de fondé dans cette assertion par le récit même des événemens.


I

L’ancienne bourgade de Preston, patrie d’Arkwright[1], est, après Manchester, le centre le plus important des fabriques de coton du comté de Lancastre. Parmi ces fabriques, il en est peu même qui semblent plus avantageusement situées. Bâtie sur une éminence qui domine les eaux du Rible, elle est affranchie de l’atmosphère de fumée qui trop souvent attriste les villes manufacturières. Le rideau pittoresque des collines qui bornent son horizon et la beauté renommée des promenades qui l’entourent en font un séjour délicieux, dont le charme s’est, pour ainsi dire, communiqué au caractère des habitans : il règne à Preston, dans toutes les classes, même chez les ouvriers, qui n’ont rien de la rudesse de leurs camarades des autres parties du royaume, une grande aménité de mœurs et le goût des plaisirs tranquilles et décens. Seulement le Prestonien, fier de ces avantages, de l’antiquité de sa ville, de ses franchises municipales d’autrefois et de sa prospérité commerciale d’aujourd’hui[2], passe pour être enclin à l’orgueil, et ses compatriotes du royaume-uni ne le désignent guère que sous le nom du dédaigneux Prestonien. La ville a derrière elle d’immenses plaines où l’agriculture est florissante, et qui approvisionnent abondamment son marché. Elle se relie par un canal et par un chemin de fer aux parties les plus reculées du royaume, ce qui fournit un facile accès chez elle au coton, au charbon, aux autres objets qu’emploient ses manufactures, et un moyen d’écoulement également facile à ses produits fabriqués. On y travaille le coton sous toutes les formes, de telle sorte que l’ouvrier anglais y trouve toujours, et plus facilement qu’ailleurs, à s’employer ; aussi cherche-t-il de préférence à entrer dans les manufactures de Preston. Certain d’y vivre à meilleur marché, il y trouve de plus des associations de secours mutuels

  1. On sait qu’Arkwright employa le premier, si même il n’inventa la mule jenny, (fui fit une révolution dans l’industrie manufacturière de son pays.
  2. Pendant des siècles, la population n’a été que de 6,000 âmes ; mais depuis que les manufactures de coton y ont été introduites, elle s’est rapidement élevée à 75,000.