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sans condition des dix pour cent ; plutôt mourir que de renoncer aux dix pour cent !

Le tableau régulateur des salaires tel que les ouvriers exigeaient qu’on le déterminât à l’avance, et d’après lequel la confection de chaque pièce particulière d’ouvrage aurait été payée d’un prix égal dans toutes les fabriques, n’était pas plus admissible que l’augmentation uniforme des 10 pour 100. Cette prétention portait atteinte aussi bien aux droits de l’ouvrier lui-même qu’à ceux du manufacturier. Tel fabricant a renouvelé ses machines, ou en a introduit chez lui de plus perfectionnées ; en moins de temps et sans plus d’efforts de travail de la part de l’ouvrier, elles produisent plus d’ouvrage : était-il juste que l’ouvrier en tirât profit au détriment du patron qui avait fait la dépense ? Était-il équitable vis-à-vis de ses propres camarades qu’à la fin de la semaine il fût plus rémunéré que celui d’entre eux qui, moins favorisé que lui et travaillant sur des métiers usés ou inférieurs en force, n’avait pas pu, avec autant d’assiduité et de peine, livrer autant d’ouvrage ? L’ouvrier encore à qui on avait mis en main de la matière première grossière et résistante n’avait-il pas le droit de se plaindre que l’on mesurât le salaire sur la quantité seule des produits fabriqués — pour lui comme pour celui à qui il était échu un lot de matière fine et facile à manier ? Il suffit, à ce qu’il semble, d’énoncer ces propositions pour en faire justice.

Plus tard, cette même question de l’égalité des salaires fut portée sur un autre terrain. Les ouvriers demandèrent qu’on en réglât le taux à Preston sur le taux des salaires à Blackburn, à Stockport, ou dans telle ville qu’ils désigneraient. Cette exigence était également déraisonnable. Chaque centre manufacturier a ses avantages ou ses désavantages particuliers qui se contre-balancent les uns par les autres, et empêchent que toute l’industrie d’un pays ne se concentre sur un même point. À Stockport et à Manchester, par exemple, villes situées près des mines de charbon, qui leur fournissent le combustible à meilleur marché, et près de Liverpool, d’où arrive la matière première et par où s’écoule presque toute la fabrication à de moindres frais de transport, les manufacturiers travaillent dans de meilleures conditions que leurs confrères des autres districts, et le taux des salaires de l’ouvrier y est d’ordinaire plus élevé. Les manufacturiers de Preston au contraire, qui, sous d’autres rapports, ont des charges plus lourdes que leurs concurrens de Manchester, paient leurs ouvriers moins cher. C’est à ceux-ci, à leur tour, de voir s’il leur convient mieux de rester à Preston, où leurs gages sont moindres, mais où la vie est à meilleur marché, que d’aller à Manchester, où le haut prix des subsistances fait échec à l’élévation des