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filles, ceux-ci en prirent occasion de se mutiner et de négliger leur travail. Je renvoyai deux des jeunes filles, et j’en pris à leur place trois autres qui furent, le jour même de leur entrée, mises à la porte par les autres ouvriers. Un autre jour, j’avais renvoyé un de mes hommes : au moment où son remplaçant était à l’ouvrage, une dizaine d’ouvriers s’approchèrent de lui, lui présentant son habit et son chapeau, le poussèrent dehors, et l’avertirent de ce qui l’attendait s’il osait revenir. Un autre cas plus grave fut celui d’une de mes femmes que l’on sut n’avoir pas voulu payer sa contribution pour la grève de Stockport ; elle fut frappée et maltraitée au point de ne pouvoir pas travailler pendant trois semaines, et quand elle reparut à l’atelier, ses camarades ne l’y admirent qu’après qu’elle eut soldé toute sa part arriérée de la contribution. Les magistrats d’ailleurs ont eu à s’occuper de quelques-unes de ces affaires, et cinq des hommes employés chez moi ont dû donner caution de bonne conduite pendant un an. »

Un autre manufacturier ayant résolu de suspendre le travail de quelques métiers par suite de la diminution des commandes, une députation de ses ouvriers vint le trouver, et lui annonça, par ordre du comité, que si un seul métier s’arrêtait, ils quitteraient tous les autres. Chez un troisième, des ouvriers qui s’étaient mis en grève à l’instigation de leurs camarades, se ressouvenant de la bienveillance que leur maître leur avait toujours témoignée, étaient revenus à l’atelier ; mais quelques-uns apportaient tant de négligence et de dégoût au travail, qu’on leur donna congé. Tous sortirent avec eux, et, rencontrant près de là une troupe de musiciens ambulans, ils la firent jouer et ils dansèrent devant la porte de la manufacture, en signe de défi et de bravade contre le propriétaire. Dans deux ou trois fabriques alors encore en activité, le salaire avait été tout récemment augmenté de 5 pour 100, et les ouvriers s’en montraient contens ; le comité exigea l’augmentation uniforme des dix pour cent, et les maîtres ayant cru y satisfaire en ajoutant 5 pour 100 d’augmentation aux cinq déjà donnés, leur offre fut refusée, et leur manufacture mise en interdit. On barrait le passage aux ouvriers qui voulaient s’y rendre. Ces exemples d’insubordination et d’intimidation se reproduisaient chaque jour. C’était, comme on le voit, la destruction de toute discipline dans les manufactures et leur ruine prochaine ; c’était la force du nombre substituée à la liberté que tout homme doit conserver d’administrer sa propriété selon sa volonté. Il ne s’agissait plus du salaire des ouvriers, mais du libre arbitre des maîtres, que l’on prétendait soumettre chez eux à la loi de ceux qu’ils payaient, et aussi bien que de leur indépendance il s’agissait de celle des ouvriers, auxquels il n’était plus loisible de choisir leurs patrons,