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À Burnton, on fit plus : quelques hommes, dans deux manufactures, ayant demandé une augmentation de salaire et ne l’ayant pas obtenue, leurs camarades avaient tous quitté le travail ; les fabricans, alors au nombre de cinquante-sept, pour arrêter le mal à son principe, s’engagèrent mutuellement, sous peine de 2,000 livres sterling de dédit, à fermer tous leurs ateliers, si les ouvriers ne reprenaient pas leurs travaux dans les deux manufactures abandonnées. À Blackburn cependant il n’en fut pas ainsi : huit manufactures étaient fermées et plus de quinze mille ouvriers s’étaient mis en grève ; mais les maîtres n’agirent pas de concert, chacun avisant à ce qu’il croyait avoir de mieux à faire pour son propre compte, et les uns transigèrent avec leurs ouvriers, tandis que les autres leur résistaient. On le voit, toute l’industrie cotonnière de l’Angleterre était en émoi : pas une ville qui n’eût ses grèves, ici persistantes, là passagères, victorieuses sur un point, vaincues sur un autre, et dont il serait difficile de suivre les phases dans ce pêle-mêle de concessions et de résistances. L’intérêt dominant se concentrait en définitive à Preston ; là était le véritable champ de bataille sur lequel les deux camps avaient réuni toutes leurs forces, et où il y allait de la victoire ou de la défaite pour l’un ou l’autre parti. La lutte y fut longue et acharnée, et quoique les ouvriers aient dû finir par céder, ce sont eux qui ont montré le plus d’énergie et de ténacité. Il y a eu là, au service d’une mauvaise cause, une puissance d’organisation et une habileté de tactique de la part des chefs du mouvement, — et de la part de ce peuple d’ouvriers une docilité à se soumettre à leurs directions, une ardeur de haine contre leurs anciens patrons, une patience et une résignation à supporter les plus dures misères, — qui ont dû provoquer de sérieuses réflexions en Angleterre. Ce grand pays doit se tenir pour averti des périls qui menacent son industrie : ceux qui ont essayé d’y faire brèche ont été trop près d’atteindre leur but pour qu’au fond de leur cœur ils n’aient pas gardé l’espoir d’être une autre fois plus heureux, et pour qu’à la première occasion ils ne soient pas disposés à rentrer en lice.

Le terme fatal marqué par les fabricans allait expirer ; leur résolution de fermer les ateliers était irrévocable. Pas un ouvrier ne pouvait se faire illusion sur le sort qui l’attendait : ceux qui jusque-là s’étaient maintenus en bonne harmonie avec leurs patrons et qui n’avaient pas discontinué leur travail, comme ceux qui avaient déjà rompu avec eux et qui s’étaient mis en grève, tous allaient cesser de recevoir leur paie, et plus de vingts-cinq mille individus, hommes, femmes et enfans, dont les salaires réunis montaient à 12 ou 13,000 livres sterling par semaine, allaient dépendre de la charité publique, ou plutôt de l’assistance de leurs camarades des autres