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mis en gage : le dénûment et la faim parlaient alors plus haut que les orateurs, et bientôt on se serait résigné à obéir à leurs injonctions avec plus de soumission qu’à la voix de Mortimer Grunwhaw et à celle même, si puissante qu’elle fût, de George Cowel. Ce n’étaient plus des paroles, c’était du pain que vingt-cinq mille individus, hommes, femmes et enfans des deux sexes, demandaient chaque jour. On va voir comment la ligue pourvut à cette impérieuse nécessité, non pas assurément dans toute la mesure des besoins de ces malheureux, mais assez pour qu’avec leur incroyable patience et le fanatisme qui les exaltait, ils soient restés dociles sous le joug, et que leur héroïque constance, digne d’une meilleure cause, ait soutenu cette longue lutte, réputée impossible, jusqu’au jour où leurs conducteurs, contraints d’avouer leur impuissance, les dégagèrent de leurs sermens. Nous entrons ici dans la partie la plus dramatique de cette histoire, dans cette période des trois mois les plus rigoureux de l’hiver de l’année 1853, pendant lesquels l’agitation avait réuni toutes ses forces et s’est montrée le plus acharnée.

Toute l’Angleterre était attentive à ce qui se passait dans une de ses bourgades, car elle sentait la portée de la lutte qui y était engagée. La question ne regardait pas seulement les ouvriers de Preston et leurs maîtres, elle était celle des ouvriers et des chefs de toutes les industries du pays. Si on avait pu le mettre en doute, les ouvriers de ces diverses industries l’auraient fait comprendre par les encouragemens qu’ils adressaient à leurs camarades et par les nombreux secours d’argent qu’ils leur envoyaient. Les chefs des établissemens manufacturiers à leur tour allaient eux-mêmes témoigner de leurs appréhensions en se cotisant au profit de leurs confrères, qui, faute de ces contributions, pouvaient mettre en péril la cause commune en perdant la leur. De ce côté pourtant, le concours n’eut pas le caractère de généralité qu’il avait pris du côté des ouvriers. Tandis que les artisans de tous les métiers et les ouvriers de tous les corps d’état les plus étrangers à la fabrication du coton s’unissaient, par leurs dons et leurs offrandes, aux tisseurs et fileurs de Preston, les manufacturiers de cette ville ne furent secourus que par ceux du comté de Manchester, engagés dans la même industrie, et encore l’intérêt commun, le souci de l’avenir, ne furent-ils pas l’unique mobile qui fit agir ces auxiliaires ; il y eut de leur part des calculs d’intérêt personnel : ils ne furent pas sans tenir compte du profit qui revenait à leurs fabriques du long chômage de celles de leurs concurrens.

Il y avait, comme on l’a dit, urgence pour George Cowel et ceux qui s’étaient associés à lui dans la direction du mouvement à se procurer le nerf indispensable à toute guerre : c’est là qu’ils se montrèrent