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étaient hors d’état de soutenu, plus longtemps la lutte. Nul ne peut dire ce qui serait résulté d’une victoire de la ligue de Preston pour l’industrie du pays tout entier : elle aurait eu, pour le moins, à passer par un moment de désorganisation, car assurément l’agitation aurait poursuivi son œuvre ; elle n’en faisait pas mystère d’ailleurs, et l’on eût vu successivement les ouvriers de tous les grands centres de travail se mettre en grève, exaltés par le succès des Prestoniens. Les manufacturiers du Lancashire, plus menacés que les autres, le comprirent des premiers. L’intérêt de conservation et une sorte de honte de ne pas faire pour leurs confrères en danger ce que leurs ouvriers faisaient pour leurs camarades les arrachèrent à une inaction qui avait duré trop longtemps. Le 3 janvier 1854, une réunion des maîtres tisseurs et filateurs de Manchester, Bolton, Burnley, Stockport, et de dix autres villes du même district, eut lieu à Manchester. Avant toute chose, les assistans exprimèrent leur regret de se mêler d’une discussion de salaires entre les ouvriers et les patrons d’une autre localité, et ils tinrent à constater que le caractère particulier de la grève de Preston les avait seul amenés à se départir d’une réserve qu’autrement ils se seraient fait une loi de garder. À cet effet, ils représentèrent que la crise actuelle avait été fomentée et soutenue par des agitateurs, la plupart étrangers, dont l’intérêt était de prolonger la lutte, et qui ne cachaient pas leur intention d’aller subjuguer, comme ils disaient, les manufacturiers des autres villes quand ils auraient forcé ceux de Preston à se soumettre : l’intérêt de tous se trouvait dès-lors mis en péril, et tous avaient le droit d’y aviser. On décida en conséquence que de même que les ouvriers se cotisaient pour soutenir leurs camarades, les manufacturiers se cotiseraient également pour aider leurs confrères dans la résistance, et immédiatement chaque membre présent s’engagea à verser à un fonds commun une somme égale à 5 pour 100 des salaires qu’il payait par semaine à ses propres ouvriers. Cette contribution devait durer autant que durerait la grève de Preston. Un comité de confiance, revêtu de pouvoirs sans contrôle, fut chargé de la distribution des secours entre les manufacturiers de Preston. La plus sévère discrétion y serait apportée ; le comité seul connaîtrait le montant des sommes recueillies et la part qui en serait affectée à chacun de ceux que l’on secourrait.

La bataille engagée entre le travail et le capital prenait ainsi une nouvelle face. L’un des deux camps voyait ses ressources augmentées d’un renfort puissant, et l’on pouvait croire que le découragement se mettrait dans l’autre. Le moment parut propice à tous ceux qui gémissaient de cette longue lutte, et des maux sans nombre qu’elle entraînait avec elle, pour chercher un moyen d’accommodement ;