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mais dans les deux camps, et surtout du côté des patrons, on se montra peu disposé à la conciliation. La Société des Arts, qui occupe une place éminente dans l’opinion publique en Angleterre, fit la première une tentative d’intervention. Forte des relations qu’elle entretient avec le commerce et toutes les industries du pays, elle se flattait d’offrir un terrain neutre à la discussion. Elle se réunit donc avec un grand éclat, annonçant qu’elle admettrait les maîtres et les ouvriers à débattre leur différend par-devant elle. Les délégués des ouvriers se rendirent en assez grand nombre à l’appel de la Société des Arts ; mais les manufacturiers refusèrent de sanctionner par leur présence telles ou telles résolutions contraires à leurs intérêts qu’aurait pu adopter une assemblée dont ils ne reconnaissaient pas la compétence. Cette assemblée d’ailleurs se jeta dans des divagations indignes d’elle. Elle discourut sur la participation des ouvriers aux gains et pertes de leurs patrons, comme si depuis longtemps le bon sens n’avait pas fait justice de cette théorie séduisante, mais impraticable. Elle s’était posé dans son programme les questions les plus singulières, celle-ci par exemple : l’égalité des salaires est-elle possible dans toutes les manufactures ? La réunion eut le bon esprit de se séparer sans avoir abordé cette discussion ; mais elle employa deux de ses séances à débattre les avantages et les inconvéniens des coalitions, et, sans se mettre d’accord sur ce point, elle exprima le regret que la législation de son pays, moins prévoyante que la législation française, n’eût rien établi qui ressemblât à nos conseils de prud’hommes.

Plus tard, une adresse signée par le maire de Preston et quelques-uns des principaux citoyens de la ville assurait aux fabricans que les ouvriers étaient prêts à reprendre le travail, et demandait que l’on mît cette bonne disposition à l’épreuve en rouvrant les ateliers. Les fabricans firent droit à la requête : ils annoncèrent par une affiche publique que le lendemain ils recevraient à l’ouvrage, au taux des anciens salaires, tous ceux qui se présenteraient, à la seule condition qu’ils cesseraient de faire partie de l’association de leurs camarades. Pas un ouvrier ne vint s’offrir. On a reproché, et avec toute raison sans doute, aux meneurs et délégués d’avoir été en cette occasion le seul obstacle à la réconciliation. L’immense majorité des ouvriers la souhaitaient, mais les chefs qu’ils s’étaient donnés se mirent à la traverse. N’eurent-ils, pour en agir ainsi, d’autre mobile que le souci de la cause qu’ils avaient prise en main ? Cela peut être, car c’était la ruine de cette cause que la reprise des travaux aux conditions posées par les maîtres ; mais il est permis de soupçonner que l’intérêt personnel des délégués fut pour quelque chose dans leur persistance : ils trouvaient leur compte à prolonger