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Dieu une mère ou une femme ; il ne sait pas au juste quelle est l’importance de Jésus dans la religion chrétienne, et il prête son ignorance et ses incertitudes de pensée aux diverses églises chrétiennes. « D’un autre côté, dit-il, lorsque je pensais au christianisme, les chrétiens me semblaient aussi être tombés dans des opinions erronées touchant le prophète Jésus-Christ (que béni soit son nom !) : quelques-uns en font leur Dieu, d’autres le fils de Dieu, et quelques autres une des trois personnes de leur Trinité. » Même incertitude sur des sujets moins élevés et plus faciles à saisir. La compagnie des Indes lui apparaît sous une forme presque effrayante, et quoiqu’il ait vu de ses yeux à Londres même les chefs de la compagnie, il ne parle qu’avec une sorte de terreur « de ces quarante personnes puissantes qui tiennent dans leurs mains les destinées de son pays. » Un degré d’ignorance de plus, et Lutfullah ne serait pas loin de voir en elle, comme les Hindous, un être diabolique, une divinité inaccessible, ou une redoutable sorcière. Il a beaucoup étudié, il a lu les poètes anglais : rien de tout cela ne semble avoir modifié son esprit. Il est resté oriental comme devant, son instruction semble lui être extérieure ; c’est une propriété achetée à grands efforts de travail au lieu d’être achetée à prix d’or. Il a mal étudié d’ailleurs, à tort et à travers comme les Orientaux, sans méthode et sans direction. Il a étudié par exemple l’anatomie dans les livres. À Londres, il assiste à une séance d’anatomie, et il est obligé de confesser « qu’il en a plus appris en une heure qu’il n’en aurait appris avec ses livres dans une année de dur travail. » Aucune des notions scientifiques qu’il a recueillies dans ses lectures n’a été vérifiée par une expérience personnelle ; aussi est-il embarrassé pour se rendre compte du moindre phénomène, et retombe-t-il immédiatement dans les superstitions de l’ignorance. À Londres, il va visiter le Diorama. « À notre arrivée dans ce lieu d’incantations magiques, nous fûmes conduits par le gardien dans une chambre aussi noire que le cœur d’un infidèle. » Ce n’est pas sans appréhension qu’il consent à s’asseoir sur les sièges que lui présente avec bienveillance son introducteur. « Je dis avec bienveillance, car nous nous étions mis à sa discrétion, et il aurait pu nous maltraiter avec impunité dans ce noir cachot, s’il l’avait voulu. » Quel état de civilisation, quel singulier état permanent de l’âme, quelles habitudes craintives et défiantes se révèlent dans ce tout petit fait ! Mais les fantasmagories du Diorama l’effraient encore bien plus que les ténèbres ; il s’explique en partie seulement le phénomène, et il ne respire à l’aise que lorsqu’il est sorti, s’estimant heureux d’en être quitte pour la peur. « Enfin, à notre très grande satisfaction, nous fûmes tirés par le gardien de ce lieu de fausse magie… À demi satisfaits, à demi inquiets, nous