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bien calculés, ingénieux, mais grossiers. Ils savent convenablement dévider des entrailles, mutiler un membre, ramener la peau du crâne sur la face de la victime : on dirait d’un charpentier habile qui prend ses mesures avec l’équerre et le compas. Les Tartares s’abandonnent à leur féroce brutalité, et arrivent ainsi à des effets grandioses qu’il faut savoir reconnaître : rien n’égale en ce genre Tamerlan et Gengis-Khan. Doués du génie poétique, les Hindous ont donné à leurs supplices une beauté délicate, une variété exquise, une subtilité d’imagination qui leur assurent le premier rang dans cette branche des beaux-arts. Le Koran a défendu les arts plastiques aux musulmans, mais ils ont trouvé dans les supplices un moyen d’employer leurs facultés, que la religion condamnait à l’inertie. Certains souverains musulmans ont dépassé l’ingénieux Néron et l’habile Domitien. Néron se contentait de torches vivantes qui brûlaient une heure, et puis s’éteignaient : comme il est loin de ce prince qui sut avec une seule victime se donner le spectacle d’un millier de lampes allumées ! Faire écorcher vives ses victimes est un plaisir qui a toujours été doux aux barbares ; mais les faire rouler ensuite dans une poussière de sel et de soufre, c’est un raffinement que les Orientaux seuls ont su goûter. Et pourtant c’est à cette populace humaine que nos compatissantes âmes chrétiennes voudraient voir sacrifier l’Angleterre !

Je ne veux point priver le lecteur curieux des tortures réellement intéressantes que les maraudeurs et les bandes pillardes faisaient, au rapport de Lutfullah, subir à ses compatriotes. La victime était liée, puis exposée nu-tête aux rayons d’un soleil brûlant ; on lui serrait ensuite les oreilles entre le bassinet et le chien d’un fusil. C’était l’initiation et le premier degré de la torture. Une fois chargée de ces lourds ornemens, on lui posait pour coiffure une pierre d’un poids énorme, laquelle pesait sur une autre pierre pointue qui faisait lentement son chemin à travers le crâne, puis on lui posait une muselière remplie de cendres et de poivre rouge qui provoquait les éternumens et procurait à la victime la plus cruelle suffocation. Tels étaient les modes de torture inventés par les brigands hindous. Les représailles étaient également cruelles ; les honnêtes citoyens avaient autant d’ingénieux moyens de mettre à mort les coupables que ces derniers avaient eu de moyens de torturer les victimes. Par exemple, on liait les captifs aux pieds d’un éléphant, qui les traînait lentement par toute la ville et les écartelait pièce à pièce, membre à membre, en prenant son temps, ou bien on leur écrasait la tête entre deux pierres avec un solide maillet de bois. L’horreur est d’ordinaire monotone, mais les Orientaux, il faut le reconnaître, ont eu l’art d’y introduire la variété.