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quatre bons milles à faire à partir de l’endroit où nous étions. » En effet, la nuit était déjà venue avant que les voyageurs eussent fait plus de deux milles. Arrivé près d’une mosquée, Lutfullah s’arrête, déclare qu’il a l’intention d’y passer la nuit, et souhaite un bon voyage à son compagnon. Ce dernier essaie de le persuader de finir le voyage, en l’effrayant d’histoires de voleurs et de bêtes féroces. Lutfullah répond qu’un feu clair allumé dans la nuit est un moyen connu d’écarter les bêtes féroces, et que pour les voleurs il les craint peu, n’ayant pas la moindre monnaie sur lui. Juma (c’était le nom de cet indiscret compagnon de route) considère alors Lutfullah d’un regard scrutateur. Puisque Lutfullah s’arrête, il s’arrêtera aussi. Les craintes qu’inspire cette complaisance à Lutfullah ne lui font cependant pas oublier ses devoirs de musulman. Il entre dans une rivière pour faire ses ablutions, et laisse ses habits à la garde de Juma, qui en fouille toutes les poches et tous les replis. Le résultat de cette enquête, en constatant la pauvreté de Lutfullah, sauva sa vie. Juma à son tour, voyant qu’il avait affaire à un gueux comme lui-même, se sentit venir trop de confiance, et il dit à Lutfullah que, s’il voulait lui jurer sur le saint livre de ne jamais divulguer le secret qu’il allait lui révéler, il le prendrait pour apprenti, et lui enseignerait l’art de devenir riche en un instant. L’étourdi Lutfullah prêta le serment demandé et reçut en retour l’horrible secret.

Juma était un thug, un thug exercé et de premier mérite dans sa profession. Il avait formé dans le district environnant sept disciples aussi recommandables par leur fidélité à leur maître que par l’intelligence avec laquelle ils avaient profité de ses leçons. « Ouvrant un large sac qu’il tira de sa ceinture, il laissa tomber des mohurs d’or pour enchanter mes yeux et fasciner mon imagination. » Il enseigne alors à Lutfullah les diverses manières de tuer employées dans sa profession ; dans le nombre, il en est une assez curieuse : « Nous nous familiarisons avec les voyageurs en nous présentant comme mendians, en nous proposant comme guides, ou même en servant d’entremetteurs (pimps). La femme dont je vous ai parlé nous sert à ce dernier usage ; elle attire le voyageur et le conduit dans un endroit écarté, loin de la route, où l’un de nous ne tarde pas à les rejoindre. Le voyageur naturellement ne goûte pas cette visite importune ; mais la femme l’apaise en lui disant : C’est mon mari ou mon frère ; il va s’en aller bientôt, et nous pourrons parler et fumer à l’aise. Si pendant ce temps le voyageur n’est pas assez sur ses gardes, la femme, comme par accident, laisse tomber certaine partie de son vêtement, ce qui naturellement attire toute son attention, et alors… » On sait le reste, la strangulation par le mouchoir