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Mehemmedda un calme, un silence si profonds, que Benjamin ne put se défendre d’un mouvement de terreur. On eût dit que la maison était déserte. Pour se rassurer, le jeune homme eut besoin de se dire qu’on était à l’heure la plus brûlante d’un jour d’été, que la famille n’osait en ce moment s’exposer à l’ardeur du soleil ; il se rappela d’ailleurs que plus d’une fois, à son retour des champs, il avait été frappé par l’air de solitude et d’immobilité qui régnait autour de la chère maison, tandis qu’à l’intérieur tout était joie et animation. Tout en réfléchissant ainsi, Benjamin promenait des regards curieux sur le paysage qui réveillait en lui de si douces impressions d’enfance, quand son attention se concentra soudain sur un objet qui parut exciter au plus haut degré sa surprise : c’était un cheval richement sellé et harnaché, retenu par la bride à l’un des arbres qui bordaient la rivière. Où était le cavalier ? À qui pouvait appartenir cette monture assez richement équipée ? Le cavalier serait-il dans la maison ?… Mais un hôte de Mehemmedda aurait conduit son cheval à l’écurie, et ne l’aurait pas abandonné dans la campagne. Benjamin se leva, sauta en selle ; un moment il dirigea son cheval vers la vallée, puis, obéissant à l’un de ces mouvemens d’indécision et de timidité puériles qu’il n’avait encore pu vaincre, il fit volte-face, et sans regarder en arrière, il prit à toute bride le chemin de la ville.

Arrivé à Angora, il se hâta de recueillir des renseignemens sur sa famille. Le premier informateur qui s’offrit à lui, ce fut le khandj (le maître du khan). Ce vénérable personnage, possesseur d’une barbe aussi longue et aussi blanche que celle d’un muphti, presque aussi bavard et aussi menteur qu’Athanase lui-même, vint à la rencontre de l’hôte illustre dont la suite était arrivée quelques heures auparavant, l’aida à descendre de son cheval et le conduisit avec respect dans l’appartement retenu et disposé pour lui. C’était une chambrette ressemblant pas mal à une cellule de chartreux ou même à un cachot, donnant par une porte et par une fenêtre haute sur le portique qui entourait la cour carrée. Le plancher avait été récemment balayé ; les toiles d’araignée formant draperies le long des murs avaient disparu sous une poignée de plumes d’oie servant de plumeau ; des tapis avaient été étendus sur le sol humide par les gens de Benjamin ; des coussins étaient disposés en forme de divans le long des murs, et d’autres tapis pendus devant la porte et la fenêtre. On voyait des coffres épars çà et là. Un petit meuble en bois d’ébène incrusté en nacre et en écaille, tenant le milieu entre la table et l’écritoire, occupait un coin du divan et sur un grand panier turc placé à terre entre le divan et la cheminée était disposé un élégant service à café en porcelaine de Chine. Une collection de pipes et de narghilés complétait l’ameuble-