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mieux que le mouvement en plein air ; le charme de sa désinvolture semblait alors jouter avec la terre en fleurs, et l’inaltérable sérénité de son visage avec l’azur du ciel. Dans nos promenades, dont elle était la vie et l’âme, elle se multipliait incessamment, et savait combler les lacunes qu’il pouvait y avoir ici et là. Et la voir courir, que c’était donc charmant ! Comme un chevreuil qui obéit aux lois de la nature en bondissant par les semailles, on eût dit qu’elle faisait quelque chose de particulier à son instinct, à son tempérament, alors que, pour réparer un oubli, retrouver un objet perdu, rallier des retardataires, elle prenait sa course et s’échappait par monts et par vaux. »

Le 13 avril 1771, Goethe venait à Sesenheim dans l’intention d’y séjourner quelques semaines. Déjà on se connaissait, on s’était distingué ; trois rencontres avaient suffi, pour émouvoir ces jeunes cœurs. Il y avait ce jour-là grande et joyeuse compagnie au presbytère. Frédérique s’empressait à recevoir ses hôtes, et Goethe, en la voyant ainsi lui apparaître dans tout l’éclat de sa candeur céleste, belle de ses quinze ans et de sa ravissante pureté, à la fois enfant et jeune fille, Goethe sentit la fleur d’amour dont il avait le germe dans son âme ouvrir soudain son calice d’or. Elle était si heureuse à faire fête à tout ce monde, si encourageante et si modestement expansive, tant de bonté respirait dans son regard, le charme de sa personne se déployait si librement au sein de cette belle nature, que l’étudiant de Strasbourg fut captivé d’une manière irrésistible.

Après le dîner, où peut-être n’avait pas régné la plus stricte tempérance, on se dispersa sous les arbres, et de turbulentes parties s’organisèrent par les soins de Goethe et de Frédérique. Les gages qu’on s’impose de garçon à fillette, et réciproquement, sont en général ce qui fait le grand charme de ces jeux qu’on appelle innocens, je ne saisi trop pourquoi. Au point où ils en étaient désormais, quel autre gage qu’un baiser Wolfgang et Frédérique pouvaient-ils échanger ? Au milieu des joyeusetés et des éclats de rire, le baiser fut donné, ardent, tendre, mystérieux, et l’amour scella ces lèvres virginales de son indélébile empreinte : heure enchantée, ineffable accord de deux âmes dont Goethe a consacré le souvenir dans ces vers de l’album de Frédérique :

Enfin il est à moi, cet ange, mon doux maître ;
Tout ce que je ressens l’émeut au fond de l’être ;
Sur mon cœur vibre son cœut d’or !
Destin, qui m’accordas cette faveur insigne,
Fais qu’au jour d’aujourd’hui demain ressemble encor,
Et m’instruis à m’en montrer digne !


« Malheur sur malheur, et pour jamais et pour toujours, à celle