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fatigue les champs, telle autre, celle de la luzerne par exemple, les repose. Comment cela se peut-il faire ? Je sais bien qu’on dit qu’un travail d’esprit repose d’un travail manuel, ou même que l’épuisement des jambes n’empêche point les bras d’être dispos ; mais toutes les plantes semblent pousser sur le sol d’une manière, sinon identique, du moins très analogue. Si ce sol se fatigue, c’est toujours de la même manière et par un travail du même genre. À peine pourrait-on comprendre que l’effort fût plus faible dans un cas que dans l’autre, difficilement il pourrait être nul, et jamais d’ailleurs cet effort nouveau ne procurerait des forces nouvelles. Lorsqu’on prétend qu’une occupation nous délasse d’une autre, c’est une manière de parler très hasardée ; la seconde fatigue peut faire oublier la première, mais un repos complet vaudrait mieux. Lorsqu’on défriche les forêts vierges, on assure que la terre est fertile, car elle s’est reposée pendant des siècles. Quel être singulier que celui dont les forces ne sont en rien altérées par la production de ces arbres immenses que notre continent connaît à peine, tandis qu’il faut du temps et des soins de toute sorte pour le récompenser, lorsqu’il a porté les tiges légères de l’avoine et du blé ! N’y a-t-il pas ici une disproportion évidente entre l’effort et la fatigue ?

C’est aussi une autre opinion très répandue que la nécessité pour le grain de pourrir avant de germer et pour le fumier de fermenter. Toute vie vient de la pourriture, assure-t-on, et pour que les engrais agissent, il faut qu’ils soient fermentés ou consommés. Personne ne doute de ces axiomes, et l’on cite à l’appui la multitude de vers et de mouches que semble produire toute matière organique en putréfaction. Comment se fait-il alors qu’un cadavre de cheval ne donne pas naissance à des chevaux, une vache morte à des génisses, et que le grain qui se pourrit dans un grenier ne forme pas des épis de froment ? Il n’est personne qui ne sache distinguer les deux phénomènes. Lorsqu’une graine germe, elle s’étend et forme un végétal pareil à celui qui l’a portée ; mais lorsqu’une matière organique entre en putréfaction, elle offre seulement de la chaleur et un aliment aux germes apportés sans cesse par le mouvement de l’air. Personne n’imagine que de la paille ou de la farine corrompue sont sur le point de donner du blé ou de l’avoine, et cependant l’expression n’est pas et ne sera pas de longtemps abandonnée. On pourrait multiplier les exemples et prouver que la langue agricole est toute poétique. Si donc l’on veut continuer de s’en servir, il faut du moins l’expliquer et voir ce qu’il y a de vrai sous ces locutions, car on risque fort de parler longtemps ainsi sans s’entendre, et il est temps enfin de savoir ce que parler veut dire.

Les expériences agricoles sont longues et difficiles, les résultats