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II

La question de savoir si l’antiquité grecque et latine a connu le roman est une question très discutable, quoiqu’elle ait été souvent tranchée dans le sens de l’affirmative, d’après le petit traité du docte évêque d’Avranches, Huet, sur l’origine des romans. Si l’on donne le nom de roman à toute narration fictive, il est clair que le goût des fables, des contes, des légendes, n’est pas particulier aux peuples modernes, et que le roman remonte à la plus haute antiquité. La fiction tient une grande place dans la littérature grecque et latine ; le polythéisme était un inépuisable réservoir de fables ingénieuses qui vivifiait toutes les branches de cette littérature. Si donc le mot romanesque était synonyme du mot fictif, il y aurait du romanesque partout dans les ouvrages anciens ; il y en aurait jusque dans les travaux historiques, l’exactitude étant chez les historiens de la Grèce et de Rome une préoccupation secondaire. Mais si, distinguant ce que Huet confond souvent, — d’une part les contes merveilleux, les légendes mythologiques, et d’autre part le roman proprement dit, — l’on cherche à définir ce dernier genre de production par les attributs généraux qui le caractérisent de plus en plus depuis trois siècles ; si l’on définit le roman — une fiction en prose donnée comme fiction par l’auteur, acceptée comme telle par le lecteur, et néanmoins composée presque toujours avec des prétentions à la vraisemblance[1], ayant généralement pour but d’exposer des faits imaginaires, mais naturels, de peindre des mœurs et des situations appartenant à la vie privée, où les événemens de l’histoire ne figurent qu’accessoirement et où les personnages publics agissent surtout en tant que personnes privées ; — si enfin l’on s’arrête sur ce qui fait d’ordinaire le principal sujet d’un roman, sur cette peinture éternellement renouvelée de l’amour avec toutes ses nuances, tous

  1. Nous disons presque toujours, de même que nous employons plus loin d’autres formules analogues, parce que rien n’est plus difficile que de renfermer dans une définition précise toutes les variétés du genre romanesque. Il nous semble que le Dictionnaire de l’Académie écarte la difficulté plutôt qu’il ne la résout quand il définit spécialement le roman moderne ainsi : toute histoire feinte écrite en prose, où l’auteur cherche à exciter l’intérêt soit par le développement des passions, soit par la peinture des mœurs, soit par la singularité des aventures. Cette définition n’est-elle pas à la fois trop étendue et incomplète ? Elle ne définit pas les romans de Walter Scott, et elle embrasse les contes de Perrault, à moins que les mots histoire feinte signifient autre chose que fiction, ce qui n’est guère probable. Il y a incontestablement quelque chose qui sépare le roman moderne des contes de fées, et ce quelque chose tient à la vraisemblance qui distingue en général la fiction romanesque, et qui peut jusqu’à un certain point se retrouver même dans les développemens d’une première donnée fantastique, comme dans les Voyages de Gulliver par exemple.