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pour toute nature les jardins des faubourgs, faisant l’amour sur les gouttières des toits, et chantant cependant, avec son petit filet de voix perçante et railleuse, tout aussi bien qu’un autre oiseau le plaisir facile, le beau soleil, le printemps et la liberté.

Béranger, a-t-on dit, est un Français : oui, sans doute ; mais lorsqu’on dit d’un poète ou d’un écrivain qu’il est Français, il faut se hâter de demander de quelle province. Béranger est un pur Parisien ; il a toutes les qualités et tous les défauts de cette population, une des plus vives et des moins poétiques qui existent. L’esprit essentiellement frondeur de la population parisienne a trouvé en lui son plus fidèle interprète ; Béranger fut toute sa vie un merveilleux écho d’opposition. Les paysages qui lui sont familiers sont les paysages parisiens ; il n’a guère vu la nature qu’aux Tuileries, aux Champs-Élysées et à l’ancien bois de Boulogne, cher aux rendez-vous illégitimes. Il reproduit avec une exactitude de daguerréotype cette nature artificielle, à la fois pompeuse et grêle. De même, pour le peuple, Béranger ne l’a guère connu que dans les faubourgs parisiens, dans les guinguettes de la banlieue et sur l’esplanade des Invalides. Les sentimens et les mœurs des populations rustiques lui sont à peu près inconnus. Il n’a vu que le peuple vêtu de la blouse ou de l’uniforme, le monde des artisans et des soldats. Il doit, je le sais, quelques-uns de ses plus beaux succès à la peinture des souffrances du peuple des campagnes et à l’expression des sentimens populaires généraux, sans acception de costume, et je dirais volontiers de caste ; mais ce n’est que fort tard qu’il s’est avisé de donner droit de cité au peuple entier dans ses chansons[1]. C’est surtout dans le premier recueil de Béranger, avant les préoccupations politiques, avant la renommée, avant les nécessités qui le forcèrent d’élargir le cadre de la chanson, avant les devoirs imposés par le succès, qu’on peut saisir cet esprit exclusivement parisien.

Ce premier recueil me frappe beaucoup ; le ton n’en est pas très élevé, mais tout y est naturel et franc. Plus tard, le poète visera plus haut, il rencontrera de plus nobles inspirations, il n’en rencontrera jamais de plus parfaites. L’auteur, on le sent, ne s’essouffle pas à poursuivre une muse qui le fuit ; il est maître absolu des sentimens et des types qu’il chante. Ce sont des sentimens peu relevés et des types peu distingués : les sentimens se composent d’un épicuréisme grivois et à fleur de peau, d’une absence complète de sens moral, d’une impiété plus insouciante qu’agressive ; mais tout cela

  1. Et même alors il lui resta toujours quelque chose du Parisien. Ainsi, dans l’admirable chanson des Bohémiens, il y a une foule de traits qui appartiennent beaucoup plutôt au peuple des vagabonds parisiens qu’à la singulière population qu’il a voulu chanter.