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Ainsi, selon les deux interlocuteurs, d’accord cette fois, l’action collective du peuple ne validait pas davantage la décision que le libre examen et le libre assentiment n’avaient pas précédée. Cela nous laisse bien loin de ce droit irrésistible que M. de Lamartine reconnaît dans le peuple en masse, et sur lequel il fonde la légitimité de cette dictature que lui conseillait son ami. À cette seule raison du nombre, à cette prétendue volonté de tous, au nom de laquelle on supprime la volonté de chacun, je préfère, je l’avoue, la naïve profondeur du dialogue grec. Elle répond, ce me semble, victorieusement à la préférence des deux poètes publicistes pour la démocratie dictatoriale : elle fait justice de cette illusion qui les porte à supposer que le pouvoir arbitraire change de nature en changeant d’origine, et qu’il devient sage et juste, s’il s’exerce au nom de tous.

La sagacité des sages antiques, avertie par l’exemple des cités diverses établies de leur temps, avait admirablement démêlé ce vieux sophisme de l’ignorance et de la force, qu’on nous vante aujourd’hui comme une découverte. Ils donnaient pour principe à la loi l’équité, pour condition aux suffrages l’aptitude, l’examen et la liberté. Ils pensaient, comme Bossuet l’a dit, qu’il n’y a pas de droit contre le droit, et ils reconnaissaient les caractères et l’autorité de la loi, non pas à l’acclamation tumultueuse ou à la coaction qui l’aurait imposée, mais à la justice qui en avait préparé les bases, à la persuasion éclairée qui en assurait l’empire, et à la force légitimée par elle qui la défendait à son tour.

Voilà ce que le poète illustre, analysé et admiré comme publiciste par M. de Lamartine, aurait pu recueillir dans quelques pages du Xénophon, inspirées par Socrate, ou plutôt voilà ce qu’il aurait mérité de trouver lui-même par cette affinité naturelle que son panégyriste lui attribuait avec le sage même d’Athènes.

Que serait-ce si nous remontions plus haut, et si nous allions consulter l’autre disciple et l’interprète plus sublime du même Socrate ? Que dire des sanctions lumineuses et divines dont le génie de Platon a revêtu ce principe fondamental d’une justice absolue, indépendante de la force et du nombre, et visible image ici-bas de la vérité qui réside en Dieu même ? C’est la doctrine qui respire dans tous les dialogues de Platon et qu’on peut voir supérieurement résumée par un moderne dans le discours préliminaire que M. Cousin a mis en tête de la traduction du Traité des lois. Cicéron, il faut le dire, n’était que le traducteur habile et passionné de cette philosophie. C’est d’elle qu’il empruntait la définition de la vraie, de la suprême loi, de cette loi contre laquelle on ne peut légiférer, à laquelle on ne peut, même partiellement, déroger, et qu’on ne